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À l’origine du contrat

C’est à l’été 2020 que le gouvernement a annoncé avoir entamé des travaux pour renforcer le cadre légal de la lutte contre le séparatisme, et pouvoir engager des sanctions contre les projets organisés qui vont à l’encontre du fonctionnement de la République. Les ambitions affichées de ce projet sont d’une part de faire respecter les principes de liberté, égalité et fraternité, la protection de la dignité humaine et la préservation des symboles de la République, et visent d’autre part à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République et à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public.

Sa traduction législative est présentée en Conseil des ministres le 9 décembre 2020, et aboutira au vote de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, souvent appelée « loi séparatisme »1. Parmi ses principales dispositions figure un contrôle renforcé des associations, dont les financements publics et l’obtention d’agréments seront soumis à la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». Ce contrat est unilatéral : il engage les associations, et son non-respect pourra faire l’objet de sanctions, mais il n’engage en rien les pouvoirs publics.

Des oppositions immédiates

Au cours des débats parlementaires, de nombreuses voix se font entendre contre ce texte. Les représentants du tissu associatif français y sont unanimement opposés, et le Haut Conseil à la Vie Associative dénonce dans un avis des dispositions « superfétatoires, les pouvoirs publics disposant déjà de tous les leviers juridiques nécessaires au contrôle, à la sanction et à la dissolution »2, alors que le Défenseur des Droits évoque « les risques d’atteinte à la liberté d’association », et recommande a minima « de renoncer au terme de contrat »3.

C’est pourtant bien le terme de contrat d’engagement républicain qui entre en vigueur pour les associations le 3 janvier 2022, articulé autour de sept engagements dont les contours ont été précisés par décret4.

L’application du contrat d’engagement républicain est liée à l’interprétation des autorités compétentes de ces termes et ce qu’ils recouvrent. Lors de l’examen de constitutionnalité du texte, le Conseil Constitutionnel avait justement formulé des réserves d’interprétation, et invité le pouvoir réglementaire à « veiller, en fixant les modalités spécifiques de mise en œuvre de ces obligations, à respecter les principes constitutionnels de la liberté d’association », tout en validant l’intégralité des dispositions du texte5.

1 : Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, publiée au JO du 25 août 2021
2 : Avis du Haut Conseil à la vie associative, adopté le 3 décembre 2021
3 : Avis du Défenseur des droits n° 21 -01, 12 janvier 2021
4 : Décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021, publié au JO du 1er janvier 2022
5 : Conseil Constitutionnel, décision n° 2022-1004 QPC du 22 juillet 2022

Le périmètre du contrat d’engagement républicain

Le contrat d’engagement républicain s’applique dans un périmètre précis, principalement dans le cadre de relations existantes entre l’association et les pouvoirs publics.

Quelles structures sont concernées ?

La souscription au contrat d’engagement républicain est obligatoire pour les associations et fondations qui sollicitent une subvention de la part d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial (SPIC)6, qui font la demande d’un agrément d’État ou d’une reconnaissance d’utilité publique, ou qui veulent accueillir un volontaire en service civique.

Qui doit respecter les engagements ?

Le contrat d’engagement républicain engage l’association dans sa globalité, et doit donc être respecté par ses dirigeants, ses bénévoles et ses membres à compter de la date de souscription au contrat. Les actes de toutes ces catégories de personnes sont imputables à l’association, et relèvent de sa responsabilité.

Les dirigeants doivent donc veiller à informer et sensibiliser toutes les personnes concernées sur le respect de ces principes au sein de l’association, par tous les moyens nécessaires à leur application concrète.

Un contrat, sept engagements !

Les annexes du décret détaillent le contenu du contrat d’engagement républicain, mais aussi les raisons qui ont précédé sa rédaction : « l'importance des associations et des fondations dans la vie de la Nation et leur contribution à l'intérêt général justifient que les autorités administratives décident de leur apporter un soutien financier ou matériel. [...] L'administration, qui doit elle-même rendre des comptes aux citoyens, justifier du bon usage des deniers publics et de la reconnaissance qu'elle peut attribuer, est fondée à s'assurer que les organismes bénéficiaires de subventions publiques ou d'un agrément respectent le pacte républicain ».

Le respect de ce pacte se traduit donc en sept engagements que les associations doivent respecter : le respect des lois de la République ; la liberté de conscience ; la liberté des membres de l’association ; l’égalité et la non-discrimination ; la fraternité et la prévention de la violence ; le respect de la dignité de la personne humaine ; le respect des symboles de la République.

6 : Le contrat d’engagement républicain a donc été intégré au formulaire de demande de subvention Cerfa n° 12156*06

Les sanctions en cas de non-respect

Les textes prévoient des sanctions lorsque l'objet que poursuit l'association ou la fondation, son activité ou les modalités selon lesquelles cette activité est conduite sont illicites ou incompatibles avec le contrat d'engagement républicain souscrit.

En amont de la décision de l’autorité administrative

En cas de manquement relevé par les pouvoirs publics, ces derniers peuvent, avant l’intervention de l’autorité administrative, sanctionner les associations et fondations concernées en refusant leur demande de subvention ou d’agrément selon le cas.

Cette possibilité entérine le pouvoir discrétionnaire accordé par la jurisprudence aux pouvoirs publics d’accorder ou de refuser une demande sans avoir besoin de motiver leur décision.

Après l’accord de l’autorité administrative

Une procédure administrative peut être entamée lorsque des manquements directement liés aux activités de l’association sont commis par des dirigeants, bénévoles ou membres d’une association ou fondation, et que les organes dirigeants, informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens à leur disposition.

Dès lors, les sanctions peuvent être de deux ordres : le retrait de bénéfices accordés par les pouvoirs publics ou la dissolution administrative.

Une subvention, un agrément d’État, une reconnaissance d’utilité publique ou un agrément de service civique peut faire l’objet d’un retrait, sur décision motivée, dans les conditions de droit commun, ce qui entraîne une demande de restitution de la subvention ou des aides perçues au titre de la décision d’octroi retirée.

L’association ou la fondation concernée peut aussi faire l’objet d’une dissolution administrative. Elle doit être motivée et l'association peut présenter ses observations écrites ou orales et être assistée d'un conseil.

Bon à savoir

Une décision du Conseil Constitutionnel7 précise les contours du pouvoir de sanction administrative, et pose certaines limites à son application.

En cas de retrait de subvention, le Conseil Constitutionnel a estimé que le rappel de sommes versées au titre d'une période antérieure au manquement au contrat d'engagement porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'association, au vu de son impact sur l’activité de l’association.

Pour les dissolutions administratives, il rappelle qu’elles peuvent faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif, le cas échéant dans le cadre d'un référé-liberté, « qui s'assure qu'elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité de sauvegarde de l'ordre public poursuivie, eu égard à la gravité des troubles [...] ».

7 : Conseil Constitutionnel, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021

Un an après, un premier bilan

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Les chiffres du ministère de l’intérieur

Le Ministère de l’intérieur a publié en octobre 2022 un dossier de presse8 pour présenter un premier bilan de la loi « séparatisme », dont fait partie le contrat d’engagement républicain.

Les chiffres rapportés font état de 26 614 opérations de contrôle, 836 fermetures d’établissement temporaires ou définitives, 55,9 millions d’euros redressés ou recouvrés et 551 signalements effectués. Le document ne détaille pas les chiffres des procédures relatives au seul contrat d’engagement républicain, mais rappelle que l’article 16 de la loi permet la dissolution d’associations directement en Conseil des Ministres.

Les alertes du monde associatif

De leur côté, les représentants du monde associatif français continuent d’alerter sur les effets de bord du contrat d’engagement républicain, les contraintes qu’il représente et le poids symbolique qu’il fait peser sur les activités des associations et fondations. Dans un dossier de presse9 diffusé le 26 janvier 2023, le Mouvement Associatif établit la liste des préoccupations que lui inspirent les premières applications du dispositif : « il instaure une forme de contrôle préalable contraire à l’esprit de la loi de 1901 ; il installe une lourdeur administrative et un cadre de plus en plus contraignant ; il fait peser une responsabilité juridique disproportionnée sur les dirigeants associatifs ; il créé une insécurité juridique et financière sur les associations et leurs partenaires », entre autres griefs qui aboutissent à la conclusion que le contrat d’engagement républicain « ne répond pas aux objectifs annoncés ».

Pour appuyer ses propos, le dosser examine en détails ses répercussions sur la vie associative, et étudie plusieurs cas emblématiques d’application litigieuse.

8 : Ministère de l’intérieur et des Outre-Mer, « Loi confortant le respect des principes de la République : premier bilan et perspectives, un an après sa promulgation », 7 octobre 2022
9 : Le Mouvement Associatif, « Associations, présumées coupables ? Bilan de l’impact du contrat d’engagement républicain sur la vie associative, 1 an après sa mise en vigueur », 26 janvier 2023

Premières applications, premières difficultés

Alternatiba Poitiers et le rôle contesté du préfet

L’association écologiste Alternatiba Poitiers a reçu une subvention de la ville de Poitiers pour l’organisation d’un évènement appelé Le Village des Alternatives. Le préfet de la Vienne a ordonné à la ville de retirer sa subvention, considérant qu’il allait à l’encontre du contrat d’engagement républicain. En l’état, c’est la tenue d’un atelier sur la désobéissance civile qui a été considéré comme contraire aux principes de la République.

Cet exemple cristallise le problème des marges d’interprétation des engagements qui figurent dans le contrat d’engagement républicain, dans lequel n’est pas cité précisément la désobéissance civile. Au-delà du fait que l’association n’a pas eu recours à la désobéissance civile, mais a organisé un atelier sur le sujet dans le cadre d’un espace de débat démocratique, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une ingérence de l’État et une décision vécue comme arbitraire. Au premier rang de cette opposition, la ville de Poitiers elle-même, qui a refusé de retirer sa subvention. Le préfet a donc saisi le tribunal administratif pour statuer. Un collectif de 14 associations s’est formé pour soutenir Alternatiba et la ville de Poitiers dans cette procédure.

Public/Privé : la région Auvergne-Rhône Alpes étend le dispositif

Le 17 mars 2022, deux dispositifs sont adoptés par l’assemblée régionale dont l’un directement consacré à la défense des valeurs de la France et la lutte contre le communautarisme. Une des nouveautés imaginées par la région est d’étendre le champ d’application du contrat d’engagement républicain à l’ensemble des tiers publics et privés. Le principe affiché est clair : « Pas un euro d’argent de la Région à des structures ou individus ne respectant pas les valeurs de notre pays »10.

La liberté d’expression et de communication au secours du Planning familial 71

Le planning familial de Saône-et-Loire (71) a obtenu de la mairie de Chalon-sur-Saône l’autorisation d’organiser sur la voie publique un évènement sur les droits des femmes, et d’effectuer une campagne d’affichage pour informer de sa tenue. Mais le 18 février 2022, la mairie retire ces autorisations pour non-respect du contrat d’engagement républicain, accusant l’association de communautarisme, à cause de la présence d’une femme portant un voile sur le visuel de l’évènement. Jugeant cette décision abusive, l’association a immédiatement saisi le tribunal administratif de Dijon, qui lui a donné raison le 4 mars 2022. La décision a ensuite été validée par le Conseil d’État11. Dans son avis rendu le 10 mars 2022, la haute juridiction a estimé que les motifs invoqués par la mairie portaient « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et de communication, garantie par la Constitution ». Le recours du Planning familial 71 lui a permis de récupérer l’autorisation de tenir son évènement comme initialement prévu.

Gageons que, conformément au souhait émis par le gouvernement en octobre dernier, les nouveaux outils de la loi, dont le contrat d’engagement républicain encore « en cours de déploiement », feront l’objet d’une « meilleure exploitation ».

10 : www.auvergnerhonealpes.fr > La Région adopte deux dispositifs « pour défendre notre identité et nos valeurs »
11 : Conseil d’État, Juge des référés, 10 mars 2022, 462140

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Le bimensuel des organismes sans but lucratif et de leurs secteurs d’activité depuis plus de 30 ans.
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