Le Conseil d’État est revenu sur plusieurs dissolutions prononcées en Conseil des ministres pour examiner les critères de leur validité juridique.

L’affaire est connue : un décret en conseil des ministres, en date du 21 juin 2023, a prononcé la dissolution d’un groupement de fait écologiste pour provocation à la violence contre les biens (décr. du 21 juin 2023, JO du 22). Les avocats du groupement, soutenus par un collectif comprenant de nombreuses associations de défense de l’environnement, ont saisi le Conseil d’État à des fins d’annulation pour excès de pouvoir du récent décret. Dans l’attente d’une décision au fond définitive sur cette question, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu la dissolution, estimant que les conditions de situation d’urgence et de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, établies par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, étaient remplies (CE 11 août 2023, n° 476385). C’était là un premier répit, confirmé par la décision sur le fond prononcée le 9 novembre 2023.

Loi Séparatisme

Le Conseil d’État rappelle d’abord qu’une mesure de dissolution porte une atteinte grave à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République. Elle ne peut donc être mise en œuvre que pour éviter des troubles graves à l’ordre public. Il précise ensuite les critères pour déterminer si une dissolution peut être justifiée par les dispositions du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure (CSI), dispositions qui, dans leur rédaction issue de la loi du 24 août 2021 (JO du 25), dite « loi Séparatisme », permettent de dissoudre une organisation provoquant à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens. Il juge ainsi qu’une dissolution n’est justifiée que lorsqu’une association ou un groupement incite des personnes à se livrer à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens de nature à troubler gravement l’ordre public. Si la commission d’agissements violents par des membres de l’organisation n’entre pas par elle-même dans le champ de ces dispositions, le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu’en soient les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions. Le Conseil d’État ajoute que constitue également une telle provocation « le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d’incitations explicites à commettre des actes de violence ».

Critères de nécessité et de proportionnalité

Au cas présent, le Conseil d’État estime qu’aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée au groupement de défense de l’environnement. Le relais, avec une certaine complaisance, d’images d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, notamment contre la construction de retenues d’eau à Sainte-Soline, ne constitue pas une revendication, une valorisation ou une justification de tels agissements. Il estime en revanche que l’organisation s’est bien livrée à des provocations à des agissements violents à l’encontre des biens, qui entrent dans le champ du 1o de l’article L. 212-1 du CSI. Cependant, la sanction de la dissolution ne constitue pas une « mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public » au vu des effets réels qu’ont pu avoir leurs provocations à la violence contre des biens, à la date à laquelle a été pris le décret attaqué.

Pour ces raisons, le Conseil d’État annule le décret de dissolution du groupement écologiste. En revanche, il rejette, par trois autres arrêts du même jour, les demandes d’annulation de décrets de dissolution de trois associations car il estime ici les critères de nécessité et de proportionnalité remplis.

Auteur

Juris associations pour le Crédit Mutuel