Yves MAYAUD, Agrégé des Facultés de droit, directeur du Lamy Associations - Partenaire Associathèque

De construction jurisprudentielle, la délégation de pouvoir se présente sous des traits à ne pas négliger, qui témoignent de deux enjeux majeurs, en termes, et de responsabilité pour l’association, et d’opposabilité pour les tiers.

La délégation de pouvoir est un instrument à privilégier pour les associations d’une certaine taille, avec des activités touchant à la sécurité, avec des salariés en nombre, voire des intervenants extérieurs, tels les bénévoles, ajoutant à la complexité de leur organisation. Il va de soi que le président de l’association ne saurait assumer à lui seul les nombreuses obligations qui pèsent sur sa gestion. C’est pourquoi, plus sont lourdes les contraintes légales ou réglementaires, plus il doit se poser la question de l’opportunité d’une délégation de ses pouvoirs, afin de rester dans une administration raisonnable et accessible, et prévenir ainsi tout risque de dysfonctionnement ou d’accident.

1 - Un enjeu de responsabilité pour l’association

Le président d’une association voit souvent sa responsabilité pénale retenue alors qu’il n’a pas réalisé lui-même l’infraction, celle-ci se révélant être le résultat d’une défaillance d’un salarié ou d’un bénévole.

C’est particulièrement le cas en lien avec le non-respect d’une norme de santé ou de sécurité à l’origine d’un accident du travail : des poursuites pénales sont souvent engagées contre le président lui-même pour homicide involontaire ou violences involontaires, ce qui donne le sentiment d’une responsabilité du fait d’autrui, pourtant incompatible avec le droit pénal. Mais le raisonnement juridique est plus subtil : la responsabilité reste bien personnelle, parce qu’il est de principe que les normes applicables à la gestion d’une association, par équivalence à celles d’une entreprise, engagent personnellement son président, de sorte que les manquements d’autrui restent une faute qui lui est personnellement imputable. La solution pourra surprendre par son abstraction, voire son manque de réalisme. Mais elle n’est pas définitive.

C’est ici qu’intervient la délégation de pouvoir : une délégation consentie à une personne investie par le président, et pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour veiller à l’observation des dispositions en vigueur. La responsabilité est alors transférée au délégataire, tel le directeur de l’association ou d’un établissement, qui devient ainsi responsable, en étant tenu personnellement des obligations inhérentes aux pouvoirs qui lui sont consentis.

Parce qu’il est doté des prérogatives attachées à la présidence de l’association, il en a également les devoirs, ce qui le soumet aux obligations qui en découlent, et toutes les défaillances dans leur exécution lui deviennent personnelles, avec pour conséquence de rendre également personnelle sa responsabilité.

À l’inverse, le président de l’association quant à lui n’est plus responsable, sauf à simuler la délégation, faute de compétence, d’autorité ou de moyens dans la personne du délégataire, ou encore à s’immiscer dans les prérogatives de ce dernier.

On le voit, au regard de l’association, et donc dans les rapports internes à celle-ci, la délégation de pouvoir a pour enjeu la responsabilité, elle-même directement tributaire du principe de personnalité.

Mieux encore, la responsabilité reste d’autant plus personnelle que le dirigeant démontre son incapacité à déléguer ses pouvoirs...

2 - Un enjeu d’opposabilité pour les tiers

La délégation de pouvoir n’engage pas que les rapports entre les membres de l’association. Elle a un impact considérable auprès des tiers, étant un instrument juridique d’opposabilité, c’est-à-dire un titre sur lequel il est possible de s’appuyer pour s’engager contractuellement avec l’association elle-même.

Il faut ici faire état du vécu associatif, des réalités factuelles autour de l’administration ou de la direction des associations. Certaines sont irréprochables, qui renvoient à des pouvoirs parfaitement articulés et donc à des dirigeants revêtus d’une légitimité non contestable.

Mais d’autres concèdent volontiers à la fantaisie, soit que les dirigeants négligent leurs prérogatives, par désintérêt ou faiblesse, soit encore qu’ils consentent à une délégation, mais sans en livrer le principe ou la teneur par une preuve formelle, seuls les faits étant à même d’en justifier l’existence. Toutes ces figures soulèvent une difficulté pour les tiers à une association, autrement dit pour les personnes physiques ou morales sollicitées à des fins de partenariat ou de services prolongés, comme c’est le cas pour les établissements bancaires.

Il est évident que la simple prétention à la représentation d’une association ne saurait emporter l’adhésion d’une banque à la qualité de dirigeant. Il faut plus qu’une affirmation isolée en ce sens, serait-elle doublée d’une délégation de pouvoir effective, mais sans support permettant d’en rendre compte.

Les banques sont tenues par des obligations très strictes, en lien avec la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ce qui se traduit par un impératif de vigilance et, si nécessaire, par une déclaration de soupçon à la « TRACFIN ». Elles ne sauraient donc entrer dans une relation professionnelle sans un écrit permettant d’avoir une idée précise des pouvoirs et des compétences de leur interlocuteur, qu’il s’agisse des statuts ou d’une convention de délégation.

Il est une nuance importante avec ce que la Cour de cassation pose de principe quant à elle.

Il ressort en effet de sa jurisprudence que la délégation de pouvoir n’a pas à être expresse ou écrite pour emporter transfert de la responsabilité : les circonstances et le mode d'organisation de l'entreprise sont des critères suffisants, soumis à l'appréciation des juridictions du fond, avec pour conséquence de rejeter la délégation dès lors que les supposés bénéficiaires n'ont ni la compétence, ni l'autorité, ni les moyens nécessaires à l'exécution de leurs fonctions.

Mais une telle solution n’est pas transposable aux tiers, parce que l’enjeu est radicalement différent : il n’est pas question de se prononcer sur la responsabilité, mais de se prévaloir d’une opposabilité, par la preuve parfaite des pouvoirs ou des compétences prétendus, ce qu’une banque ne saurait rechercher par elle-même, étant en droit de l’obtenir directement et formellement de celles et ceux qui sollicitent ses services.