Concilier convictions et modèle économique : le modèle coopératif

Né dans les soubresauts du contexte économique et politique du XIXe siècle, le mouvement coopératif a tenté, tout au long du XXe siècle, un cadre à ces tentatives de réappropriation de la force productive par les ouvriers puis les salariés quand le modèle et économique et/ou les cadres dirigeants faisaient faillite.

3 évènements majeurs vont permettre de faire émerger ce modèle :

  • La Commune de Paris en 1871 : les chefs d’entreprise ont fui les ateliers et les usines et les ouvriers s’organisent pour les relancer.
  • 1947 : Adoption de la loi portant sur le statut de la coopération.
  • Années 2000 : création des CAE (Coopérative d’activité et d’emploi, des SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) et loi Hamon sur l’ESS.

Le développement des sociétés coopératives va s’accélérer dans les années 70 et 80, à la fin des 30 glorieuses, car elles vont vite démontrer leur capacité à répondre au contexte de crise économique.

Le principe de base d’une société coopérative repose sur une gouvernance et un capital détenu majoritairement par les salariés de la société. A ce principe vont s’ajouter 7 piliers du modèle coopératif :

  • Adhésion volontaire et ouverte à toutes et tous
  • Pouvoir démocratique exercé par les membres
  • Participation économique des membres
  • Autonomie et indépendance
  • Éducation, formation et information
  • Coopération entre les coopératives
  • Engagement envers la communauté

Il faut bien faire la différence entre les coopératives rassemblant des entreprises, celles rassemblant des usagers et consommateurs et celles qui appartiennent à l’ESS, les coopératives de production associant ses salariés.

Aujourd’hui, d’après le rapport 2024 sur les SCOP rédigé par le Mouvement Coopératif, il y a 4 140 SCOP et 1 417 SCIC en France, générant 10,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 88 000 emplois. 40% d’entre elles sont issues d’un prolongement d’activité : transformation d’une association, reprise d’une entreprise classique, en difficultés ou non.

Le portrait-robot d’une SCOP française est une société d’une vingtaine de salariés et d’1 million d’euros de chiffre d’affaires en moyenne.

Mais le plus intéressant réside dans les résultats financiers et, surtout, humains de ces coopératives. En 2024, année de crises multisectoriels et d’inflation, elles ont maintenu une croissance de 6% pendant que la France était à 1,1% et de 4% des emplois pendant que le reste de l’économie stagnait sur les embauches.

Pourquoi ? Pour 3 raisons principales :

  • Une gouvernance par les salariés qui favorisent l’agilité et la réactivité
  • Un lien fort avec l’économie locale et concrète
  • Une dépendance moindre à la rentabilité économique seule.

Cela fait quelques arguments pour s’intéresser à ce modèle. Et ça tombe bien, 2025 a été décrétée « année des coopératives » par l’ONU avec une série d’événements organisés pour en faire la promotion.

L’agrément ESUS : l’utilité sociale au cœur du modèle économique

La principale nouveauté instaurée par la loi Hamon de 2014 sur l’ESS c’est la création de l’agrément « Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale ». Cet agrément, à destination de tout type de structure, y compris les associations a vocation à permettre à ces entreprises d’être plus visibles auprès d’investisseurs et financeurs spécifiques – épargne solidaire ou salariale, financeurs cherchant à bénéficier de réduction d’impôts dans le cadre de la loi Madelin ou IR-PME - qui veulent financer des services et produits conçus dans la recherche d’un impact social et environnemental positif.

Pour obtenir cet agrément, valable 5 ans, il faut :

  • Être une entreprise de l’économie sociale et solidaire au titre de l’article 1 de la loi ESS
  • Poursuivre une utilité sociale à titre d’objectif principal
  • Prouver que la recherche d’utilité sociale a un impact sur le compte de résultat de l’entreprise
  • Les titres de capital de l’entreprise ne doivent pas être négociés sur un marché financier.
  • Avoir une politique de rémunération pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise. Vous devez dès lors respecter deux conditions :
    • la moyenne des sommes versées, y compris les primes, aux cinq salariés ou dirigeants les mieux payés ne doit pas excéder un plafond annuel fixé à sept fois le Smic,
    • la rémunération versée au salarié le mieux payé ne doit pas excéder un plafond annuel fixé à 10 fois le Smic.

Cet agrément a permis l’émergence et la reconnaissance d’entrepreneurs sociaux, de divers horizons et secteurs mais souvent passés par des incubateurs et dispositifs d’accompagnement dédiés. Il est la manifestation de cette nouvelle manière d’entreprendre, plaçant dans le modèle économique de son activité les notions environnementales, sociales, de gouvernance, que l’on va retrouver avec le rapport de durabilité et les critères ESG instaurés prochainement par l’Europe.

En plein développement, il est encore difficile de quantifier le nombre d’entreprises ayant demandé cet agrément car elles ne l’ont pas toujours déclaré au répertoire SIRENE.

D’après la dernière étude du magazine Alternatives Economiques, de mars 2025, 2 888 structures bénéficient de l’agrément ESUS dont :

  • 1 691 associations
  • 266 coopératives
  • 31 acteurs de la finance solidaire
  • 13 fondations
  • 6 mutuelles

Ce chiffre, même partiel, se révèle un peu décevant car il ne semble pas représenter tout le mouvement de l’entreprenariat social. Il est possible d’imaginer car nombre d’entrepreneurs du secteur, par le caractère un peu complexe de cet agrément, n’ont pas fait la démarche ou ne l’ont pas valorisé. Dans tous les cas, entre l’antériorité de la loi, 10 ans, et la complexité potentielle de la démarche, un nouveau débat se dessine sur le cadre à proposer pour accompagner et rendre visible des structures.

La zone grise

Il y a aussi des structures qui n’entrent pas dans le cadre de la loi mais qui bénéficie de statuts officiels et se rapprochent philosophiquement du secteur.

C’est le cas par exemple des entreprises à mission, instaurée par la loi Pacte, permet à une entreprise de déclarer sa raison d’être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux.

Pour les entreprises de plus de 50 salariés, elles doivent aussi mettre en place un comité de missions qui veillent au respect de cette raison d’être et ses objectifs. Avec cette forme, l’utilité sociale n’est plus forcément au centre du modèle de l’entreprise.

Pour ce statut comme pour l’ensemble des normes existantes aujourd’hui dans le cadre notamment de la RSE, ce sont les modes des productions et de management qui sont ciblés mais pas forcément le produit ou le service vendu par l’entreprise. Ce qui en fait certainement une première étape vers une réflexion plus profonde d’une activité économique qui intègre structurellement les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance, à égalité avec la rentabilité économique.

Auteur

In Extenso pour le Crédit Mutuel