Xavier Delpech – Docteur en droit, Juris associations - Partenaire Associathèque

La situation est singulière. Elle est celle d’une association qui n’a pas reçu la totalité du montant d’une subvention publique auquel elle prétendait avoir droit.

Il était précisément question d’une association dédiée au soin et au soutien des personnes victimes de la torture et de la violence politique exilées en France et l’État ont conclu en 2017 une convention attributive de subvention à l’association au titre du fonds « asile, migration et intégration » (FAMI) portant sur un montant maximum de 905 253 euros pour la mise en œuvre d’un projet intitulé « Proposer une prise en charge adaptée aux personnes exilées victimes de violence ».

Par une décision du 30 juin 2022, le ministre de l’Intérieur a fixé à 53 981,42 euros le reliquat de subvention à verser, soit une somme inférieure de 127 069,18 euros au solde de la subvention prévue par la convention. L’association bénéficiaire de la subvention a alors a demandé au tribunal l’annulation pour excès de pouvoir de la décision litigieuse pour avoir fixé le montant du solde de la subvention à une somme inférieure au plafond prévu par la convention. Elle n’obtient que partiellement gain de cause.

Nature du recours en matière de subvention

On relèvera que le Conseil d’État s’est déjà prononcé sur la nature du recours pour excès de pouvoir en matière de subvention1. Il a précisé que le recours pour excès de pouvoir, seul recours possible en matière de subvention, est ouvert pour tous les actes relatifs aux subventions.

Précisément, le régime des actes unilatéraux (abrogation, retrait, suspension, contestation contentieuse...) s'applique désormais intégralement aux actes relatifs aux subventions, à l'exception d'actions indemnitaires engagées dans le cadre d'une responsabilité extracontractuelle contre la personne publique, lorsque ses décisions liées à la subvention causent un préjudice à des tiers ou au bénéficiaire, qui relèvent du plein contentieux. Ce recours est, par ailleurs, dispensé du ministère d'avocat.

Une association pouvoir adjudicateur

Il s’avère qu’une partie de la somme que le ministre de l’Intérieur a finalement refusée de verser à l’association a servi à rémunérer des prestations d’interprétariat. Le ministre a, en effet, estimé que, l’association étant un pouvoir adjudicateur au sens du code de la commande publique, il lui incombait de respecter les règles d’attribution des marchés et que le FAMI ne pouvait prendre en charge les sommes engagées en méconnaissance de ces règles.

Pour rappel, aux termes de l’article L. 1121-1 du code de la commande publique : « Les pouvoirs adjudicateurs sont : 1° Les personnes morales de droit public ; 2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dont : a) Soit l'activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; [...] ».

Dans un premier temps, le tribunal a considéré que l’État français avait prévu les priorités du programme national du FAMI ainsi que les règles d’éligibilité et de contrôle des dépenses. Il a également organisé les appels à projet, choisi les attributaires des subventions et contrôlé l’exécution des actions, d’ailleurs en lien étroit avec les procédures relatives au fonds pour la sécurité intérieure qui ne relève à aucun titre de l’Union européenne. L’État français ne s’est ainsi pas borné à attribuer des financements relevant en réalité de l’Union européenne, mais a été le gestionnaire réel de sommes, les sommes versées par le FAMI, bien que celles-ci puissent donner lieu à remboursement par l’Union européenne. L’État français étant un pouvoir adjudicateur, il y a lieu de tenir compte des subventions qu’il verse pour vérifier si une entité constitue un pouvoir adjudicateur.

Prise en compte de la jurisprudence européenne

Toutefois, ajoute le tribunal, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne, et notamment de son arrêt du 3 octobre 20002, que la qualification d'un organisme de « pouvoir adjudicateur » doit être effectuée sur une base annuelle et que l'exercice budgétaire au cours duquel la procédure de passation d'un marché déterminé est lancée doit être considéré comme la période la plus appropriée pour le calcul du mode de financement de cet organisme. Or, il résulte de l’instruction que la part des ressources de l’association requérante versée par des pouvoirs adjudicateurs, y compris au titre du FAMI, a excédé le taux de 50% au cours des exercices 2017 et 2018, mais pas en 2019 ni en 2020, de sorte que l’association était un pouvoir adjudicateur au sens de l’article L. 1121-1 du code de la commande publique et soumis au respect des règles de la commande publique (liberté d'accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures) seulement en 2017 et 2018.

Le tribunal a donc annulé la décision en tant qu’elle a refusé le versement de la somme correspondant aux prestations d’interprétariat pour 2019 et 2020.

1 : CE 29 mai 2019, avis, Société Royal Cinéma, n° 428040
2 : CJCE du 3 oct. 2000, The Queen c. H.M Treasury ex parte University of Cambridge, aff. C-380/98