Xavier Delpech – Docteur en droit - Juris associations - Partenaire Associathèque
Une institution issue du droit des sociétés
L’action sociale est une institution bien connue en droit des sociétés. Elle vise à réparer le préjudice subi par la société – en d’autres termes à reconstituer le patrimoine social – en cas de faute commise par un ou plusieurs dirigeants. L’action sociale doit, en principe, être exercée par les représentants légaux de la société ; on parle d’action sociale ut universi. Mais, en pratique, il est à craindre qu’ils soient réticents à exercer une telle action dès lors qu’ils en sont a priori la cible (sauf hypothèse où un cogérant agit contre l’autre cogérant, ou encore lorsque le dirigeant nouvellement désigné agit contre son prédécesseur). Aussi, pour pallier une éventuelle carence des dirigeants, le droit des sociétés prévoit que tout associé puisse se substituer aux organes sociaux pour engager la responsabilité du dirigeant, quelle que soit la forme sociale (C. civ., art. 1843-5 ; C. com., art. L. 223-22 et L. 225-252), afin que celui-ci répare le dommage causé à la société tout entière.
C’est l’action sociale ut singuli. Cette action se distingue de l’action individuelle qu’un associé peut exercer contre un dirigeant pour obtenir la réparation d’un préjudice qui lui est propre ; c’est, en ce cas, lui et non pas la société qui percevra les dommages-intérêts auxquels le dirigeant social sera éventuellement condamné. L’action sociale ut singuli est un mécanisme qui permet en droit des sociétés que les associés représentent la société en justice de manière dérogatoire aux règles normales de fonctionnement du groupement.
Le silence de la loi du 1er juillet 1901
On ne sera pas surpris que, compte tenu du laconisme de la loi du 1er juillet 1901, l’action ut singuli ne soit pas prévue au profit du membre d’une association en cas de faute commise par un dirigeant associatif. Pourrait-on envisager que, malgré ce silence, le membre d’une association puisse exercer une telle action sur le fondement du droit des sociétés, en ce qu’il constitue en quelque sorte le droit commun des groupements et qu’il présente de ce fait une « vocation subsidiaire d’application » aux associations, selon la formule régulièrement utilisée en jurisprudence (Civ. 1re, 3 mai 2006, n° 03-18.229) ?
C’est à cette situation délicate que la Cour de cassation a été récemment confrontée.
Une société est membre d’une association, présidée par M. S. Invoquant des fautes commises dans sa gestion, la société a assigné M. S., ainsi que l'association, en réparation des préjudices subis par cette dernière. La cour d’appel de Versailles déclare l’action de la société irrecevable pour défaut d'intérêt et de qualité à agir. La solution est pleinement confirmée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.
Elle affirme d’abord qu’il est jugé, « au visa de l'article 32 du code de procédure civile, que, sauf exception prévue par la loi, seules les personnes habilitées à représenter une personne morale peuvent intenter une action en justice au nom de celle-ci (Civ. 1re, 13 févr. 1979, n° 77-15.851, Bull. civ., I, n° 57) » (pt 5). Elle poursuit en énonçant que « la possibilité d'exercer l'action sociale ut singuli à l'encontre d'un dirigeant est réservée par le législateur aux seuls membres de sociétés et constitue une dérogation, pour ces groupements, à la règle selon laquelle nul ne plaide par procureur (Civ. 3e, 7 juill. 2022, n° 22-10.447 QPC) » (pt 6). Pour rappel, la règle « nul ne plaide par procureur », issue de l’Ancien droit, trouve à s'appliquer dans le cas où une partie soumet au juge une demande qui n'a pas vocation à satisfaire un droit qui lui est propre, le droit invoqué étant celui d'un tiers qui recevra le bénéfice exclusif de la réussite de l'action.
Puis la Cour de cassation s’intéresse à la situation spécifique de l’action sociale ut singuli dans les associations. Elle considère, dans le silence de la loi, que celle-ci ne peut être exercée par un associé que si les statuts le prévoient : s'agissant des associations, « les statuts déterminent librement les organes habilités à agir dans leur intérêt et, en l'absence d'une clause statutaire le prévoyant, aucun texte n'autorise leurs membres à exercer l'action ut singuli à l'encontre d'un dirigeant, en indemnisation du préjudice par elles subi » (pt 7). L’affirmation traduit une fois encore la prééminence des statuts en droit des associations. Appliquée au cas d’espèce, la règle signifie qu’une action ut singuli est possible dans les associations, mais uniquement une action ut singuli statutaire.
Mais les statuts ne prévoyaient rien de tel en l’occurrence. Or, poursuit la Cour de cassation, l’action ut singuli du droit des sociétés ne peut-être étendue par analogie au droit des associations, puisqu’il s’agit d’une règle d’interprétation stricte, pour ne pas dire qu’elle revêt un caractère exceptionnel, en ce qu’elle constitue une exception au principe « nul ne plaide par procureur ». Elle approuve, à cet égard, la cour d’appel d’avoir énoncé, « que, si l'exercice de l'action sociale ut singuli par un associé était prévu par le législateur pour les sociétés civiles et commerciales, aucun fondement légal n'ouvrait une telle action aux membres d'une association et qu'en raison de son caractère dérogatoire, le champ d'application de l'action sociale ut singuli instituée pour les associés devait être déterminé strictement et ne pouvait être étendu aux membres d'une association par l'effet d'une interprétation extensive ou analogique » (pt 8).
Une solution dans le droit fil de la jurisprudence
La solution adoptée ne saurait surprendre. D’ailleurs, par le passé, la Cour de cassation n’a jamais accepté d’étendre l’exercice d’une action sociale ut singuli à d’autres types de groupements que ceux visés par les dispositions légales, et notamment aux associations (v. par ex., à propos d’une action exercée par un syndicat de copropriétaires membre d’une ASL au profit de celle-ci : Civ. 3e, 23 janv. 2020, n° 19-11.863). Elle a d’ailleurs récemment jugé, pour justifier cette solution qu’une question prioritaire de constitutionnalité entendait remettre en cause, que « l'impossibilité pour le membre d'une association d'exercer ut singuli l'action sociale en responsabilité n'a pas pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif » (Civ. 3e, 7 juill. 2022, n° 22-10.447 QPC).