Yves MAYAUD, Agrégé des Facultés de droit, directeur du Lamy Associations - Partenaire Associathèque

Il arrive souvent qu’une association soit en droit d’agir en responsabilité civile contre une personne physique ou morale, voire contre ses anciens dirigeants, mais qu’elle s’abstienne de le faire.

La question est de savoir si, à jour de ses cotisations, un membre de l’association peut prendre l’initiative d’une telle action, pour le compte de l’association elle-même : on parle d’« action sociale ut singuli ». Cette possibilité existe pour les sociétés, dans les termes de l’article 1843-5 du code civil, et c’est naturellement sur ce modèle qu’elle est revendiquée pour les associations. Mais la Cour de cassation y est hostile, considérant que seules les personnes désignées dans les statuts, ou dûment habilitées par un organe de l'association, peuvent exercer une action au nom de celle-ci : solution qui a été confirmée sur deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).
Cour de cassation, 7 juillet 2022

  • En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si le requérant a pu soutenir qu'une association peut être considérée comme une entreprise et que les membres d'une association devraient être traités de la même manière que les membres d'une société civile ou commerciale, qui seraient placés dans une situation similaire, il résulte cependant des articles 1832 du Code civil et 1er de la loi du 1er juillet 1901 que, à la différence de la société, qui est instituée en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter, l'association poursuit un but autre que le partage des bénéfices. En outre, alors que la société ne peut être représentée que par ses organes légaux, les statuts de l'association déterminent librement, en vertu du principe de la liberté associative, les personnes qui sont habilitées à représenter l'association en justice. Enfin, la responsabilité civile ou pénale des dirigeants de sociétés est mise en œuvre dans des conditions différentes de celles applicables aux dirigeants des associations. Ainsi, en réservant la possibilité d'exercer l'action ut singuli aux seuls membres de sociétés et en dérogeant, pour ces groupements, à la règle selon laquelle nul ne plaide pas procureur, le législateur a pris acte de la spécificité du droit des sociétés : par suite, le requérant n’était pas fondé à soutenir que l'article 1843-5, alinéa 1er, du Code civil, en ce qu'il ne s'applique pas aux associations de la loi du 1er juillet 1901, méconnaîtrait le principe d'égalité.
  • En second lieu, l'impossibilité pour le membre d'une association d'exercer ut singuli l'action sociale en responsabilité n'a pas pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, dès lors qu'elle ne prive pas l'association de la possibilité d'agir en justice contre ses anciens dirigeants par l'intermédiaire de ses nouveaux représentants exerçant l'action ut universi, que, en cas de carence des dirigeants de l'association, les membres de celle-ci peuvent obtenir la désignation d'un administrateur ad hoc chargé de la représenter, et que lesdits membres peuvent agir en réparation de leur préjudice individuel distinct de celui de l'association.

Telles sont les raisons juridiques pour lesquelles la Cour de cassation persiste à rejeter l’action associationnelle ut singuli !