
Erwan Royer – Rédacteur en chef du Pôle Droit Public aux Editions Dalloz, Juris associations - Partenaire Associathèque
Une affaire jugée récemment par le Conseil d’État permet de faire le point sur l’épineuse question de la mise à disposition d’un local communal à une association cultuelle.
Revenons quelques instants sur les faits à l’origine du litige jugé par la Haute juridiction administrative. Par un arrêté du 13 juin 2018, le maire de Nice a autorisé l’association « Union des Musulmans des Alpes-Maritimes » à occuper à titre gratuit le théâtre municipal Lino Ventura le matin du vendredi 15 juin 2018 entre 7 heures à 11 heures afin d’y célébrer la fête musulmane de l’Aïd-el-Fitr. Plusieurs requérants ont demandé l’annulation de cet arrêté qu’ils jugent contraire à la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État prohibant toute libéralité assimilable à une subvention destinée à un culte. Pour eux, en effet, la gratuité de la mise à disposition de ce bâtiment s’assimile purement et simplement à une libéralité prohibée au profit d’un culte. Si les juges du fond ont suivi cet argumentaire, tel n’a pas été le cas des juges du Palais Royal pour qui l’existence d’une libéralité ne peut pas résulter de la simple gratuité de la mise à disposition.
CE 18 mars 2024, req. n° 471061
Le raisonnement du Conseil d’État s’appuie sur une jurisprudence bien établie au terme laquelle la mise à disposition d’un local communal est permise pour une association cultuelle à certaines conditions.
Précisons à titre préliminaire que cette possibilité est autorisée par le code général des collectivités territoriales (art. L. 2144-3) et qu’elle déroge en cela au code général de la propriété des personnes publiques (art. L. 2125-1). Sur les conditions de mise à disposition elle-même, une commune ne peut pas rejeter une demande d’utilisation d’un local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte.
CE 19 juill. 2011, Commune de Montpellier, req. n° 313518
En revanche, elle ne peut, sans méconnaître les dispositions de la loi de 1905, décider qu’un local dont elle est propriétaire sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel. Si, en revanche, le local appartient au domaine privé de la collectivité, elle peut le louer, pour un usage exclusif et pérenne, à une association cultuelle sans méconnaître les dispositions de la loi de 1905 dès lors que les conditions, notamment financières, de cette location excluent toute libéralité, autrement dit une aide financière dépourvue de toute contrepartie réelle et que cette location est faite dans le respect du principe de neutralité.
CE 7 mars 2019, Cne de Valbonne, req. n° 417629
En effet, comme l’a rappelé le rapporteur public sur l’arrêt du 18 mars dernier, pour qu’il y ait libéralité, il faut d’une part que la commune s’appauvrisse substantiellement au bénéfice de l’association religieuse – le montant en cause ne devant pas demeurer « faible ou non valorisable » – et qu’elle ait l’intention de la favoriser. Pour le rapporteur « si, par exemple, la commune ne faisait pas payer les autres associations (sportives, etc.) pour l’occupation des mêmes locaux, on ne pourrait pas dire que la gratuité consentie à une association religieuse révèle une intention de la favoriser : il n’y aurait donc pas libéralité ».
Il s’agit donc d’une solution favorable aux association cultuelles même si le juge administratif suprême ne fixe pas le curseur exact pour savoir à partir de quel montant il s’agit d’une libéralité contraire aux dispositions de la loi de 1905. Il faudra probablement attendre des précisions par les juges du fond.