Xavier Delpech – Docteur en droit - Juris associations - Partenaire Associathèque

De plus en plus, les associations, lorsqu’elles exercent une activité économique, sont confrontées au droit de la concurrence, qu’il s’agisse de pratiques anti-concurrentielles, de pratiques restrictives de concurrence, ou, encore, comme c’est le cas dans deux affaires récemment jugées par la chambre commerciale de la Cour de cassation, de concurrence déloyale. La concurrence déloyale sanctionne tout opérateur économique qui omet « de respecter les usages loyaux du commerce » par l’allocation de dommages-intérêts, voire par la cessation forcée de l’activité exercée avec déloyauté. Dans la majorité des cas, en la matière, le litige met au prise une société commerciale et une association. C’est précisément le cas dans le premier arrêt. Mais il se peut parfois que la situation de concurrence déloyale oppose deux associations, cas de figure qui se présente dans le second arrêt.
V. déjà pour une illustration : CA Paris, 30 mars 2018, n° 17/07421

Il est question dans le premier arrêt, en date du 5 janvier 2022, d’une société qui assure des prestations de restauration collective, notamment dans les établissements scolaires. Elle invoque la concurrence déloyale exercée par une association. Cette dernière, grâce à l'obtention de subventions publiques directes et indirectes auprès de collectivités locales, aurait évincé la société d’un contrat qui lui avait été confié par un organisme scolaire, ledit contrat n’ayant pas été renouvelé à son échéance. L’association a, de ce fait, assigné l'association en paiement de dommages-intérêts. Quoique le terme ne soit pas utilisé, la société reproche à l’association d’avoir pratiqué des prix prédateurs, à même d’évincer ses concurrents, ce qu’elle pouvait se permettre, compte tenu des subventions publiques qu’elle percevait. Et si l’action de la société échoue, ce n’est pas parce qu’une association ne peut se rendre coupable de concurrence déloyale, mais pour des raisons de preuve.

Pour la Cour de cassation, en effet, quand bien même il serait admis que l'association mise en cause a commis une faute en pratiquant des prix abusivement bas, il appartient à la société de restauration collective de démontrer que le non-renouvellement du contrat résulte, exclusivement et directement, des meilleurs prix offerts par l'association. Elle relève, en outre, que le contrat litigieux avait été conclu pour une durée déterminée de trois ans et aucune clause de reconduction tacite ou expresse n'était prévue dans ce contrat, de sorte qu'il prenait fin automatiquement à son échéance contractuelle, sans besoin de justes motifs, et qu'il était loisible à la direction de l’école de choisir un autre contractant en usant de sa pleine liberté, sauf à respecter les clauses relatives notamment à la reprise du matériel et du personnel dédiés aux prestations convenues. Elle ajoute que n'était pas rapportée la preuve du lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice pris des pertes résultant du non-renouvellement du contrat dont la société demandait la réparation, sans se prévaloir d'autres types de préjudice. Or, cette preuve incombait à la société. La solution nous paraît sévère, car, classiquement, en matière de concurrence déloyale, le lien de causalité entre la faute et le préjudice n'est pas toujours apprécié avec rigueur par la jurisprudence, peut-être parce que, en la matière, la difficulté probatoire est grande.
Y. Picod et N. Dorandeu, Rép. com. Dalloz, v° Concurrence déloyale, 2022, n° 135 s.
Com. 5 janv. 2022, n° 20-13.566

Dans la seconde affaire, qui a débouché sur un arrêt du 16 février 2022, il est question d’une association – de grande renommée – reconnue d'utilité publique, dont l'objet social est la protection des animaux. Elle a lancé une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l'abattage, de l'expérimentation animale et de la corrida. Mais une autre association, qui, elle, a pour objet la coordination d'actions de promotion du mariage homme-femme, de la famille, de la parenté et de l'adoption, a diffusé sur son site internet des « visuels » reprenant les codes et certains éléments de cette campagne, pour dénoncer la procréation médicalement assistée (PMA) sans père et la gestation pour autrui (GPA). De même, une fondation, qui agit au profit des personnes atteintes de maladies génétiques, a également repris des éléments de cette campagne nationale sur son site internet, pour dénoncer l'avortement « tardif » et l'euthanasie. Considérant que ces faits étaient constitutifs de parasitisme, la première association a assigné la seconde et la fondation aux fins d'indemnisation du préjudice en résultant. Pour rappel, le parasitisme constitue, avec le dénigrement et la désorganisation, les trois applications possibles de la concurrence déloyale. Il se définit classiquement comme le fait de s’inscrire « dans le sillage d'un autre en profitant des efforts qu'il a réalisés et de la réputation de son nom et de ses produits » (Y. Saint-Gal).

La Cour de cassation reprend cette définition – énonçant que se rend coupable de concurrence déloyale celui qui « se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements » – et ajoute que l’action en concurrence déloyale « peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l'activité des parties », par conséquent, y compris si ce sont des organismes sans but lucratif, de type association ou fondation.

Elle considère que des actes de parasitisme ont ici été commis. En effet, l’association « victime », « dont la notoriété est établie auprès du public français qui la place en troisième position des associations caritatives les plus connues, justifie l'investissements publicitaires pour une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, qui a été relayée dans des médias nationaux », tandis que l'association et la fondation poursuivie « ont détourné ses affiches, sur leurs sites internet respectifs, pour traiter des causes qui leurs sont propres, quelques jours seulement après le lancement de la campagne nationale [de la première association] ». Ces détournements caractérisent le parasitisme, peu importe que les campagnes menées par chacun des groupements poursuivent des finalités différentes, protection des animaux pour l’un, gestation humaine « naturelle » pour les autres. Quant à la condamnation à des dommages intérêts des auteurs des détournements à raison de leur comportement fautif – à hauteur de 15 000 € pour l’association et de 5 000 € pour la fondation – elle constitue, selon la Cour de cassation, « une mesure proportionnée au but légitime de la protection des droits de la [première association] ».
Com. 16 févr. 2022, n° 20-13.542

A bon entendeur...