Xavier Delpech – Docteur en droit, Juris associations - Partenaire Associathèque

Une action mise en œuvre en cas de liquidation judiciaire

Selon l'article L. 651-2 du code de commerce, si une personne morale – qui peut parfaitement être une association « loi 1901 » – vient à être mise en liquidation judiciaire et que cette liquidation « fait apparaître une insuffisance d'actif » – en d'autres termes, si certains créanciers de la personne morale n'ont pu être totalement désintéressés – , le tribunal de la procédure collective peut, « en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ». Il s’agit là de l’action en responsabilité pour insuffisance d'actif ou, anciennement dénommé action en comblement de passif. Le même article ajoute que, « [en] cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ». Le dirigeant, de droit comme de fait, d’une association régulièrement déclarée peut tout à fait être la cible d'une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

L’exception de négligence

En pratique, cependant, cette action est rarement mise en œuvre. De toute façon, et heureusement pour les dirigeants, désormais, « en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, [leur] responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée ». La loi instaure donc une sorte d'« exception de négligence », qui permet au dirigeant d'être absous s'il est visé par une telle action. Curieusement, et avec une certaine injustice, il faut le dire (à moins qu’il ne s’agisse d’une simple erreur de plume), cette exception avait été instituée au profit du seul dirigeant de société par la loi dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 (L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, art. 146). Fort heureusement, la loi du 1er juillet 2021 en faveur de l'engagement associatif en a étendu opportunément le bénéfice au dirigeant de toute personne morale, donc, entre autres, au dirigeant d'association ou encore de fondation (L. n° 2021-874 du 1er juill. 2021, art. 1er, 1°). Cette dernière loi est même venue ajouter que lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou par le droit spécial applicable en Alsace et dans le département de la Moselle, il est tenu compte par le tribunal de l'éventuelle qualité de bénévole du dirigeant de l'association (L. n° 2021-874 du 1er juill. 2021, art. 1er, 2°). Autrement dit, ce dernier devrait en principe, désormais, sauf exception, échapper à toute condamnation.
L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, art. 146
L. n° 2021-874 du 1er juill. 2021, art. 1er, 1°
L. n° 2021-874 du 1er juill. 2021, art. 1er, 2°

Cette précision est fort opportune car la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé il y a quelques années, sur le fondement de la législation antérieure à la loi « Sapin 2 », que la responsabilité du dirigeant de personne morale poursuivi sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce s'apprécie de la même manière qu'il soit rémunéré ou non (Com. 9 déc. 2020, n° 18-24.730). Certains arrêts de cour d’appel avaient cependant pu atténuer la condamnation du président d'une association en comblement d'insuffisance d'actif en raison de son statut de bénévole, instituant ainsi une sorte d'« exception associative » (v. par ex en ce sens : Grenoble, 14 nov. 2007, RG n° 06/02661).
Com. 9 déc. 2020, n° 18-24.730

Reste à déterminer, dans l'hypothèse où la responsabilité du ou des dirigeants d'association est établie, le montant de la réparation mise à leur charge. Ce montant est plafonné : il est au maximum égal à la différence entre l'actif et le passif de la personne morale. Très exactement, il correspond au montant du passif impayé (le passif net), par hypothèse supérieur à l'actif. Le juge a la faculté de moduler ce montant plafond, mais uniquement à la baisse, ce qu'il fait volontiers, généralement selon des considérations d'équité. Il peut ainsi exonérer partiellement, voire totalement, certains dirigeants selon certains critères : exercice bénévole des fonctions dirigeantes (sous l’empire de la législation antérieure à la loi du 1er juillet 2021), bonne foi, participation aux efforts de redressement, etc. Le principe de la réparation intégrale du préjudice, issu du droit commun de la responsabilité civile, est donc ici écarté. En sens inverse, le dirigeant peut être condamné à supporter la totalité des dettes impayées alors même que sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles.

Illustration jurisprudentielle

Un récent arrêt de la cour d’appel de Versailles, rendu sous la législation antérieure à la loi du 1er juillet 2021, illustre la relative mansuétude dont fait preuve le juge de la « faillite » à l’égard du dirigeant d’association bénévole (Versailles, 16 mai 2023, RG n° 22/06770). Il est question d’une association constituée en vue d'exercer l'activité d'école privée confessionnelle. Cette association est mise en liquidation judiciaire. Le liquidateur assigne alors son président, de même que le directeur de l'établissement scolaire – le second en qualité de dirigeant de fait de l'association –, aux fins de les voir condamnés solidairement à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de l'association sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce. Il obtient gain de cause, les deux dirigeants étant condamnés à hauteur d'environ 185 000 € par le tribunal judiciaire de Pontoise.

En appel, le directeur de l'établissement scolaire conteste avoir occupé les fonctions de dirigeant de fait de l'association, considérant que ses actions n'ont pas excédé celles tirées de l'exercice normal de son contrat de travail en qualité de directeur. La cour d'appel de Versailles, après avoir rappelé la définition de la direction de fait d'une personne morale – elle « suppose de démontrer l'exercice en toute indépendance d'une activité positive de gestion ou de direction ; la preuve en incombe au demandeur à l'action en responsabilité, soit en l'espèce au liquidateur judiciaire de l'association » –, considère, à l'inverse des premiers juges, qu'elle n'est pas caractérisée.

Le fait que la preuve d'un lien de subordination du directeur de l'établissement – et donc d'une relation salariée avec l'association – n'ait pas été rapportée ne remet pas en cause la solution, ajoute-t-elle. Le directeur de l'établissement scolaire échappe donc à toute condamnation au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L. 651-2 du code de commerce. Quant au président de l'association, l'existence des fautes de gestion qui lui sont reprochées doit, selon les juges d'appel, être appréciée au regard de sa qualité de bénévole. Ils précisent que la sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes de gestion commises et à la situation du dirigeant. De ce fait, la condamnation du président au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif est limitée à la somme de 15 000 €.

La cour d’appel de Versailles aurait-elle pu aller plus loin et absoudre totalement le dirigeant ? Il n’est pas interdit de le penser. En effet, l’article L. 651-2 du code de commerce étant un texte répressif, il nous semble que les juges auraient pu faire preuve d’un peu plus d’audace et appliquer ce principe de droit pénal – bien que nous ne soyons pas ici en matière pénale – du principe de l’application rétroactive de la loi pénale nouvelle si celle-ci est « plus douce ». Le Conseil d’Etat ne l’applique-t-il pas en matière de sanctions administratives ?