Erwan Royer – Rédacteur en chef du Pôle Droit Public aux Editions Dalloz, Juris associations - Partenaire Associathèque

La prise illégale d’intérêts constitue depuis longtemps une zone à hauts risques pour les élus locaux dans le cadre de leurs relations avec les associations, notamment dans le cadre de l’attribution de subventions lorsque les premiers sont membres de droit en qualité de représentants de leur collectivité au sein des secondes. Le simple fait pour un élu d'assister à une réunion du conseil municipal dans laquelle est décidée l'attribution d'une subvention à une association dans laquelle il est impliqué peut lui valoir une condamnation ! Et l’association n’est pas en reste : elle peut être également condamnée pour recel d’une prise illégale d’intérêts !

Rappelons qu’il s’agit d’un délit pénal (connu également sous le vocable délit d’ingérence) réprimé par l’article 432-12 du code pénal. Elle consiste à sanctionner tout agissement pouvant laisser suspecter qu’une décision publique, quelle qu’elle soit, ait été parasitée par un intérêt personnel, direct ou indirect (par personne interposée), matériel ou moral d’un élu local ou d’un agent public au sens large. La réponse sanctionnatrice n’est d’ailleurs pas que pénale : elle peut être également administrative avec, parallèlement à d’éventuelles recherches en responsabilité, l’annulation d’une délibération litigieuse du fait de la participation d’un conseiller intéressé.
CGCT, art. L. 2131-11

Après avoir longtemps avoir privilégié une approche exclusivement répressive pénale et/ou administrative, le droit français a évolué depuis quelques années en sensibilisant les acteurs concernés à la prévention des conflits d’intérêts. La loi du 11 octobre 2013 a d’abord donné une définition de cette notion constituée par « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Par la suite, la loi du 31 mars 2015 « NOTRe » a introduit la Charte de l’élu local dont les dispositions constituent un code de bonne conduite pour les élus durant leur mandat et reflètent la notion de conflit d’intérêts. En dépit de ce changement de paradigme, les condamnations sur le fondement d’une prise illégale d’intérêts ne faiblissent pas.

La jurisprudence retient en effet une approche très concrète de la situation litigieuse pour ce délit de nature intentionnelle. De plus, les juges considèrent que l'intention coupable de l'auteur – l’élément intentionnel – peut se déduire de son seul comportement matériel, instituant ainsi une véritable présomption de l’élément moral. Concrètement, cela signifie que, par les fonctions occupées par l’élu, ce dernier ne pouvait pas ignorer que son comportement était répréhensible. Dans ces conditions, il n’est pas certain que les modifications introduites par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire afin de modifier la rédaction de l’article 432-12 du code pénal atteignent leur objectif, à savoir restreindre les cas de mise en examen d’élus œuvrant au sein d’associations. Si la notion d’« intérêt quelconque » définissant la prise illégale d’intérêt a été remplacée par celle d’« intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » - rejoignant ainsi au passage la définition retenue à titre préventif du conflit d’intérêts –, certaines précautions doivent toujours être prises par les élus dans leurs relations avec les associations. Comme le rappelle l’Observatoire Smacl (Prise illégale d’intérêts : du nouveau pour les élus locaux, 7 mars 2022), la principale demeure l’abstention de prendre part à tout le processus décisionnel concernant le sujet où l’élu se trouve en situation de conflit d’intérêts ou peut être suspecté de l’être.