Erwan Royer - Rédacteur en chef du Pôle Droit public aux Editions Dalloz - Juris Associations - Partenaire Associathèque

L’amélioration de la situation sanitaire permet de retrouver en cette période printanière – pour ne pas dire estivale – les chemins des manifestations festives, culturelles et para-commerciales avec son lot de vide-greniers, de foires à la brocante... Il faut dire que la suspension du passe vaccinal, successeur du passe sanitaire mais en plus restrictif, ainsi que la levée presque partout du port du masque donnent des envies de « liberté ». Mais ce mot n’a pas la même acception pour tout le monde. Les pouvoirs publics peuvent être tentés, au nom des exigences de la sécurité (mais pas forcément sanitaire) nécessaire au bon exercice du droit à manifestation, de concevoir des dispositifs risqués pour cette liberté.

C’est ainsi qu’à l’occasion de l’examen du projet devenu loi du 22 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, le législateur a introduit une disposition (art. 15, 8°) permettant aux polices municipales de recourir à des caméras aéroportées, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, lors de la tenue de certains événements. Comme le soulignent les travaux parlementaires, « les finalités pour lesquelles les services de police municipale pourraient recourir à ces instruments seraient mieux encadrées que dans la loi « Sécurité globale » [NDLR : de 2021], puisqu'il s'agirait uniquement de la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles, dans la limite des missions relevant de l’autorité de police du maire ». Et pour mieux protéger les libertés publiques, la loi avait entouré de plusieurs garanties l’usage de ces drones et des images prises par ces appareils. Il était notamment prévu que « l’utilisation des caméras aéroportées par ces services serait soumise à l'obtention d'une autorisation préfectorale délivrée dans les mêmes conditions que pour les forces de sécurité intérieure ainsi qu'à l'existence d'une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l'État ». Mais ces exigences n’ont pas été jugées suffisantes par le Conseil constitutionnel qui a censuré ces dispositions.

Conformément à sa jurisprudence, les juges de la Rue Montpensier ont considéré que l’utilisation des drones pour la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles n’était pas limitée « aux manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l’ordre public ». Plusieurs associations dont la Ligue des droits de l’Homme mais également certains syndicats professionnels ont en effet indiqué que ce dispositif tel que conçu dans la loi, était contraire à l’article 10 de la directive européenne 2016/680 (dite « police-justice »). Cette dernière exige que les données biométriques (telles que les images du visage) ou sensibles (tel que le fait de participer à une manifestation politique) ne puissent être traitées qu’en cas de « nécessité absolue » – autrement dit, si aucune autre mesure ne permet d’atteindre l’objectif poursuivi. Par ailleurs, ces mêmes observateurs ont fait valoir que le texte législatif ne fixait pas de réelle limite au périmètre de surveillance par un drone. Et d’illustrer concrètement le propos par un exemple : « si le préfet de police autorise la surveillance par drones de l’ensemble de la région parisienne au cours des jeux olympiques de 2024, aucune autorité indépendante ne pourra examiner au préalable la nécessité de surveiller les lieux que la police choisira effectivement de surveiller. Cela permettrait par exemple aux agents de police, de leur seule décision et sans aucun contrôle extérieur préalable possible, de surveiller n’importe quelle manifestation ou local associatif situés dans la région parisienne grâce à cette autorisation ».

Que les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles se rassurent, le Conseil constitutionnel a fait en sorte que les regards soient ailleurs que dans les airs !