Yves Mayaud - Agrégé des Facultés de droit, co-directeur du Lamy Associations - Partenaire Associathèque

Le mouvement associatif, particulièrement les associations de défense de l’environnement, peut se vanter d’avoir fortement contribué à la reconnaissance du préjudice écologique, dont le principe est désormais contenu dans le code civil, ceci depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Sont en cause les articles 1246 à 1252 dudit code, qui non seulement soumettent à réparation toute personne responsable d’un tel préjudice, mais encore accompagnent cette réparation de modalités originales, afin de l’assurer si possible en nature, et de favoriser ainsi une remise en état des plus pertinentes.

Mais une disposition a soulevé quelques réserves. Il s’agit de l’article 1247 : « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Plusieurs associations ont reproché à ce texte de ne prévoir aucune réparation des atteintes à l'environnement considérées comme « négligeables », avec pour conséquence une méconnaissance des articles 3 et 4 de la Charte de l'environnement de 2004, ainsi que du principe de responsabilité résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elles ont également fait valoir que, faute de définir ce que recoupe exactement une « atteinte non négligeable », ces termes ne pouvaient que contrarier le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle de son accessibilité et de son intelligibilité. Ces critiques ont alimenté plusieurs contentieux, jusqu’à faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), que la Cour de cassation, par un arrêt du 10 novembre 2020 (Cass. crim., n° 20-82.245), a finalement transmise au Conseil constitutionnel.

La Haute instance s’est prononcée le 5 février 2021 (n° 2020-881 QPC, JO 6 févr.). Elle dresse un bilan positif de l’état de notre droit, et elle juge conforme à la Constitution la soumission du préjudice écologique réparable à une « atteinte non négligeable ». Mais, il faut le reconnaître, le Conseil constitutionnel procède plus par affirmation que par une motivation articulée et explicite, ce qui est un peu décevant... Sa décision s’apparente à un jugement de Salomon, qui s’attache à faire ressortir le juste partage entre les différents intérêts affectés par le préjudice écologique :

  • d’abord, les intérêts privés des personnes physiques ou morales, en lien avec ce qu’elles peuvent revendiquer de réparation personnelle en application du droit commun, qui veut que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ;
    Déclaration de 1789, art. 4
  • ensuite, l’intérêt collectif ou général attaché à l’environnement lui-même, à ses équilibres et à ses bénéfices pour l’humanité, qui trouve dans l’article 1247 du code civil une défense utile et suffisante. Point n’est besoin d’aller plus loin, le fait que ne soient pas couvertes les atteintes négligeables ne pouvant être considéré comme une méconnaissance du principe selon lequel « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement ».
    Charte de l'environnement, art. 4

La loi du 8 août 2016 est ainsi confirmée dans ses dispositions, y compris dans l’arbitrage qu’elle a opéré entre ce qui est négligeable et ce qui ne l’est pas. Reste à savoir ce que ce qualificatif recoupe de dommages concrets...