Une décision du Conseil d’État précise quels documents administratifs peuvent être communiqués à des tiers et ceux qui relèvent de la vie privée, y compris d’une personne morale.

Voici assurément un arrêt d’importance. Au départ, il est question d’une association bien connue de lutte contre la corruption, Anticor, qui a saisi le tribunal administratif de Paris afin qu’il ordonne au préfet de Paris et de la région d’Île-de-France de lui communiquer les comptes annuels 2016 et 2017 d’une fondation d’entreprise. Le tribunal ayant refusé de donner droit à cette demande, l’association s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’État. Mais ce dernier a confirmé la décision du tribunal administratif de Paris.

Communication aux tiers de documents administratifs

La justification avancée par la haute juridiction administrative est la suivante : l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que les documents produits ou reçus par l’administration sont considérés comme des documents administratifs et que ces documents sont communicables aux personnes qui en font la demande. Il en va ainsi des documents qu’une personne morale de droit privé (société, fondation, association, etc.) est tenue de transmettre à l’administration pour lui permettre d’exercer son contrôle lorsqu’un texte le prévoit. La loi établit toutefois diverses dérogations à ce droit à communication, et en particulier que ne sont pas communicables à des tiers les documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée. Confirmant et approfondissant sa jurisprudence antérieure (CE 17 avr. 2013, n° 344924), le Conseil d’État a jugé dans son arrêt du 7 octobre 2022 que ces dispositions protectrices de la vie privée sont applicables aux personnes morales de droit privé et excluent en principe, sous réserve qu’elle ne soit pas imposée ou impliquée par d’autres dispositions – tel est le cas des sociétés commerciales en particulier –, la communication à des tiers des documents relatifs notamment à leur fonctionnement interne et à leur situation financière.

Cas particulier des fondations d’entreprise

S’agissant spécifiquement des fondations d’entreprise, lesquelles ne sont pas des sociétés commerciales mais des organismes à but non lucratif qui bénéficient d’un régime fiscal avantageux – celui du mécénat –, elles sont tenues d’adresser chaque année au préfet un rapport d’activité auquel sont joints le rapport du commissaire aux comptes et les comptes annuels. Ces documents, une fois reçus par le préfet, sont donc regardés comme des documents administratifs. Étant relatifs à leur fonctionnement interne et à leur situation financière, ils sont toutefois couverts par la protection de la vie privée. Or la loi ne déroge à cette protection, en ce qui concerne les fondations d’entreprise, que pour celles ayant reçu une subvention publique : elle ouvre alors un droit à communication des comptes à toute personne qui en fait la demande.

En l’état actuel du droit, pour le Conseil d’État, les comptes d’une fondation d’entreprise qui ne reçoit pas de subvention publique ne sont donc pas communicables. Les comptes annuels 2016 et 2017 de cette fondation d’entreprise, dont il n’est pas contesté qu’elle n’a reçu aucune subvention publique durant cette période, n’étaient donc pas communicables à l’association de lutte contre la corruption. Ce que cette dernière a aussitôt contesté, relevant que « si les dons à la fondation octroient une réduction fiscale, c’est parce que son activité est d’intérêt général et non privé. C’est un nouveau paradoxe qui permet une opacité de fonctionnement alors même que les entreprises, elles, doivent publier leurs comptes ».
Anticor, communiqué de presse du 7 oct. 2022

La solution qui vient d’être rendue est assurément transposable aux associations et même à l’ensemble des personnes morales. Elle s’inscrit cependant en porte-à-faux avec la position de la Cour de cassation, dont la première chambre civile considère que « seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée au sens de l’article 9 du code civil ».
Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 15-14.072

Auteur

Juris associations pour le Crédit Mutuel