Quatre jugements du tribunal administratif de Lille posent de nombreuses questions sur l’interprétation de la règlementation relative au mécénat.

Il est des affaires aux développements si déroutants que l’on ne peut, au regard des lourdes conséquences qui s’y attachent, qu’espérer leur censure par la haute juridiction administrative. La série de quatre jugements différents rendus par le tribunal administratif de Lille le 15 décembre 2022 s’ajoute à cette liste.

Visant tous la même association à travers le prisme de quatre donateurs distincts, ces jugements remettent en cause la réduction d’impôt fondée sur l’article 200 du code général des impôts (CGI) dont a bénéficié un contribuable du fait de ce que « le service vérificateur s’est limité à considérer que l’association ne remplissait pas les conditions prévues par le régime fiscal du mécénat », sans recourir, le reconnaît-il expressément, à tout renseignement ou document obtenu de tiers. C’est donc une appréciation purement subjective de l’administration qui sert de base au reste de la décision.

Un argumentaire fragile

Le juge s’empare de la question de l’éligibilité au mécénat afin d’étudier si l’administration a, à bon droit, retoqué la réduction d’impôt du particulier. Le contrôle du contribuable s’étend donc incidemment à l’association, qui n’est pourtant pas partie au litige et qui n’a pu, semble-t-il, intervenir en procédure, et ce hors de toute procédure de contrôle fiscal : c’est un contrôle purement juridictionnel... dépourvu en cela de toutes les garanties propres aux vérifications de comptabilité.

Cette association a pour objet de mener une « « action citoyenne et sociale au bénéfice des personnes rencontrant des difficultés dans l'accomplissement de leurs formalités administratives ainsi que dans leur recherche d'emploi », à destination, en particulier, de personnes en situation de précarité économique et sociale ». Et le juge de confirmer la position administrative, « en l’absence de toute précision et de tout justificatif quant à ses modalités de fonctionnement, à ses membres, à la nature et à la consistance des activités qu’elle propose, aux conditions d’exercice de ces activités et à leurs bénéficiaires réels », absence d’éléments qui ne surprendra personne puisqu’il ne s’agit pas d’un contrôle diligenté à l’égard de l’association.

Le tribunal constate ensuite que l’association n’est pas reconnue d’utilité publique, vérifiant implicitement la condition du a) du 1 de l’article 200 du CGI, ni n’a demandé à l’administration de prendre position sur son éligibilité dans le cadre d’un rescrit « mécénat », institué à l’article L. 80 C du livre des procédures fiscales (LPF) et dont le caractère facultatif doit être rappelé.

Le juge confirme les redressements mis à la charge du particulier, « nonobstant la production de reçus fiscaux, [...] ainsi irrégulièrement délivrés », de même que l’infliction de l’amende visée à l’article 1740 A du CGI, pour enfin balayer tous les fondements invoqués par le contribuable soit parce qu’ils ne comportent pas une interprétation différente de celle dont il fait application, soit parce qu’ils ont été rapportés par l’instauration du BOFiP-Impôts en 2012.

Rappelons que les deux réponses ministérielles de 2005 et 2006 qui exemptaient le contribuable se prévalant d’un reçu fiscal de toute rectification et de ladite amende, sauf mauvaise foi ou fraude, avaient déjà été récemment battues en brèche concernant le droit des sociétés (Com. 3 mars 2021, n° 19-22.397), les investisseurs devant pareillement, dans la situation en cause, être en mesure de s’assurer que leur prise de participation respectait les conditions d’éligibilité à une réduction d’impôt. On voit plus mal encore comment, dans un cadre non professionnel, des particuliers donateurs pourront le vérifier.

Des interrogations en suspens

Au moins trois questions devront être rapidement tranchées. En premier lieu, dans quelle mesure cette disqualification incidente peut-elle s’étendre aux autres donateurs de l’association, depuis les années contrôlées mais dans les limites de la prescription ?

En deuxième lieu, dans quelle mesure ladite association a-t-elle la possibilité de faire constater, soit au cours de la procédure juridictionnelle qui la heurte indirectement, soit au cours de toute autre procédure administrative, son éligibilité au mécénat ? Un sursis à statuer du juge serait bienvenu.

En troisième et dernier lieu, dans quelle mesure cette reconnaissance tardive de son éligibilité peut-elle constituer un événement au sens du LPF, de nature à permettre aux contribuables déchus de leur réduction d’impôt de déposer une réclamation contentieuse afin d’être rétablis dans leurs droits ?

Auteur

Juris associations pour le Crédit Mutuel