Le Conseil constitutionnel censure l’interdiction totale de recevoir des libéralités des aides à domicile assistant des personnes vulnérables.

Voilà une décision du Conseil constitutionnel qui intéressera au plus haut point, compte tenu de ses potentiels effets collatéraux, les associations d’utilité publique – et, désormais, les associations d’intérêt général simplement déclarées d’au moins trois ans d’existence – dont les ressources proviennent pour partie de legs. Il est même peu douteux qu’elles ne la goûteront guère. En effet, les Sages viennent de censurer, via l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), l’interdiction totale de recevoir des libéralités pour les aides à domicile assistant des personnes vulnérables.

Legs à une employée de maison

Il est question d’une personne décédée le 18 janvier 2018, sans laisser d’héritier réservataire. Par testament, elle avait désigné ses cousins légataires universels et son employée de maison légataire à titre particulier d’un appartement et de son contenu. Lesdits cousins ont alors assigné l’employée de maison en nullité du legs sur le fondement de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 20161. Cet article, en son premier alinéa, interdit aux responsables et aux employés ou bénévoles des sociétés délivrant des services à la personne, ainsi qu’aux personnes directement employées par celles qu’elles assistent, de recevoir de ces dernières des donations ou des legs. Cette interdiction ne vaut que pour les libéralités consenties pendant la période d’assistance du donateur. Elle ne s’applique pas, en revanche, aux gratifications rémunératoires pour services rendus ni, en l’absence d’héritiers en ligne directe, à l’égard des parents jusqu’au quatrième degré.

En l’espèce, l’employée de maison gratifiée reprochait à ces dispositions d’interdire aux personnes âgées de gratifier ceux qui leur apportent, contre rémunération, des services à la personne à domicile. Elle faisait valoir que cette interdiction, formulée de façon générale, sans prendre en compte leur capacité juridique ou l’existence ou non d’une vulnérabilité particulière, porterait atteinte à leur droit de disposer librement de leur patrimoine. Il en résultait, selon elle, une méconnaissance du droit de propriété, qui est pourtant protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. La question présentant un caractère sérieux, elle est remontée jusqu’au Conseil constitutionnel.

Atteinte disproportionnée au droit de propriété

Pour le Conseil, « il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées [...] des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».

En instaurant l’interdiction contestée, le législateur a entendu assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état et dans la mesure où elles doivent recevoir une assistance pour favoriser leur maintien à domicile, elles étaient placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur apportaient cette assistance. Il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général.

Toutefois, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, qu’il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir est altérée. En second lieu, l’interdiction instituée par les dispositions contestées s’applique même dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste. Ce dont le Conseil constitutionnel déduit que l’interdiction générale contestée porte au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi. Il la déclare en conséquence contraire à la Constitution avec effet immédiat.

Cette décision est applicable à toutes les instances non jugées définitivement au 23 mars 2021.

1 : Ord. n° 2016-131 du 10 février 2016, JO du 11

Auteur

Juris associations pour le Crédit Mutuel