Motivations et freins à l’engagement bénévole

Motivations et freins à l’engagement bénévole

La vie associative facteur de rénovation du lien social

La mondialisation, la construction européenne, les bouleversements démogra-phiques, les nouvelles technologies de la communication ont profondément transformé la société française. Dans un contexte de morosité, les notions de vivre ensemble et le sentiment de partager un destin commun semblent particulièrement impactées dans les enquêtes nationales d’opinion.

Dans ce contexte, quelle peut être la contribution des associations au renouveau d’une société plus citoyenne ? C’est la question posée par deux chercheurs du Centre de recherche sur le lien social (Cerlis-CNRS Paris Descartes Cité Sorbonne), Roger Sue et Jean-Michel Peter, dans deux récentes enquêtes, menées en partenariat avec la Fonda et le Crédit Mutuel. Ces deux rapports d’enquête consultables sur Associathèque.fr, démontrent un renouveau des modalités de l’engagement bénévole et de ses implications dans la vie quotidienne.

Dans l’enquête la plus récente menée auprès de 2 427 bénévoles engagés dont une centaine d’administrateurs élus du Crédit Mutuel, deux faits retiennent particulièrement l’attention. Premièrement, l’engagement des bénévoles dans la vie de la cité reste à un niveau très élevé. Ainsi, à la question sur les avantages de l’investissement dans les mouvements associa-tifs, coopératifs ou mutualistes, 68,1 % soulignent « Défendre des valeurs de solidarité », 65,6 % « S’impliquer dans la vie locale », et 54,1 % « Recréer du lien social ».

Q1 : Selon vous quels sont les avantages de s’inverstir dans des mouvements associatifs, coopératifs ou mutualistes ? (plusieurs réponses possibles)
Défendre des valeurs de solidarité S’impliquer dans la vie locale Recréer du lien social Développer l’économie à un niveau social Une réponse à la crise Total des répondants
68,1 % 65,6 % 54,1 % 12,2 % 5,6 % 2 425

Deuxième grand enseignement de l’enquête, le principe d’association et les pratiques de loisir sont plébiscités pour créer du lien social. A la question « Selon-vous, aujourd’hui en France, qu’est-ce qui contribue le plus à créer du lien social ? », 81,2 % répondent massivement « l’engagement associatif », suivi par les « pratiques de loisirs » (62,4 %). Les instances traditionnelles de socialisation, sans doute aussi parce qu’elles ne supposent pas de « création » particulière en termes de lien social, sont beaucoup moins cités comme l’école (43,3 %), voire peu cités comme le « travail » (27,8 %) ou la « famille » (25,9 %), ce qui est plus surprenant.

Q2 : Selon vous aujourd’hui en France, qu’est ce qui contribue le plus à créer du lien social ? (plusieurs réponses possibles)
L’engagement associatif La pratique d’un sport, d’un loisir, les voyages L’école Les rencontres amicales Les relations au travail L’entraide au sein des familles Total des répondants
81,2 % 62,4 % 3,3 % 41,6 % 27,8 % 25,9 % 2 425

In fine, se saisir du ressort puissant de la vie associative, devient de plus en plus nécessaire pour créer du lien social à travers l’émergence de nouvelles manières de faire société. En ce sens, les acteurs associatifs sont dotés d’atouts indéniables pour s’adapter aux transformations de nos sociétés.

Dans la précédente enquête, nous avions montré comment du devoir, voire de la mission sous couvert d’altruisme, l’engagement bénévole est passé à une forme privilégiée de la réalisation de soi avec l’avènement d’un « individu relationnel » où les notions de plaisir et d’acquisition de compétences deviennent dominantes. « Se connaître », « Se produire », « Se réaliser », tels sont les termes qui reviennent le plus souvent dans nos enquêtes sur les parcours de bénévoles.

Les ressorts de l’engagement

Cela se confirme dans cette seconde étude. La recherche d’expériences significatives pour soi-même est une condition sine qua non qui contribue à faire du bénévolat un moment privilégié pour la reconnais-sance de soi dans l’altérité. Dans les réponses spontanées, reviennent souvent des expressions du type : « Par choix personnel et intérêt depuis l’adolescence », « Travailler pour le collectif est la meilleure façon de s’améliorer soi-même », « Initiative personnelle », sont des réponses apportées pour qualifier son engagement. « Pratiquer régulièrement avec d’autres personnes de tous horizons socioprofessionnels qui partagent cette passion », « Faire vivre les passions et motiver les nouveaux membres », « Apporter du bon temps et enrichir la vie collective » font partie aussi des ressorts de l’engagement. Les bénévoles considèrent que la « ren-contre » et le « partage d’une cause » commune sont généralement les principaux vecteurs de l’engagement (61,2 % et 57,6 %). Même si concernant les motivations de leur engagement, ils préfèrent encore mentionnés massivement « Pour être utile à la société, faire quelque chose pour les autres » (67,8 %).

Q6 : Pour quelles raisons avez-vous adhéré à une association ? (plusieurs réponses possibles)
Pour être utile à la société, pour faire quelque chose pour les autres Pour participer à la vie locale Pour vous épanouir
67,8 % 48,6 % 43 %
Q4 : Selon vous quelles sont les principales raisons de l’engagement dans une association ? (plusieurs réponses possibles)
Rencontrer d’autres personnes partageant les mêmes préoccupations Agir pour une cause Une manière de s’engager dans la vie locale Partager des bons moments
61,2 % 57,6 % 57 % 54,4 %

Les compétences au coeur de l’engagement

L’importance du rapport à l’acquisition ou au développement des compétences se vérifie et se confirme dans la présente enquête à un niveau très élevé. Si 81 % des bénévoles estiment que leurs « compétences sont mises en valeur par l’association », ils sont encore plus nombreux (93,6 %) à juger que « l’exercice d’une activité associative leur a apporté des compétences ou des connaissances nouvelles ». La fonction compétence fait désormais partie du noyau dur qui favorise le bénévolat associatif.

Q10 : Estimez vous que vous activités associatives vous ont apporté des compétences ou des connaissances nouvelles ?
Oui Non Total des répondants
93,6 % 6,4 % 2 314

L’organisateur et l’animateur ont remplacé le militant

Les qualités ou l’utilité que se reconnaît la population bénévole sont avant tout celles « d’organisateurs » (57,2 %) ou au moins « d’animateurs » (49,7 %), ce qui indique à la fois l’importance prise par les facteurs organisationnels dans les associations et une professionnalisation croissante.

Le militant dévoué corps et âme à une organisation ou une cause, n’est plus la figure dominante facteur de l’engagement bénévole.

Q8 : En qualité de bénévole, et par rapport à votre association, vous diriez que vous êtes avant tout (plusieurs réponses possibles)
Organisateur Animateur Citoyen actif Décideur Participant Militant
57,2 % 49,7 % 44,1 % 35,6 % 34,4 % 24,1 %

Les membres sont les meilleurs ambassadeurs pour recruter des bénévoles

Phénomène nouveau révélé par notre enquête, le facteur « déclencheur » de l’engagement résulte le plus souvent d’une « démarche directe effectuée par un membre d’une association » (49,8 %). Prosélytisme et contact direct figurent donc parmi les moyens les plus efficaces pour inciter à de nouvelles adhésions. Ce n’est plus la « tradition familiale » qui domine dans les racines de l’engagement (30,3 %), mais c’est le contact personnel par les dirigeants d’association qui est de loin aujourd’hui la méthode la plus fructueuse pour recruter de nouveaux bénévoles. La sollicitation et la cooptation par les associations et le « bouche à oreille » supplantent peu à peu les traditions familiales. Ce phénomène est assez net dans le domaine sportif où un dépannage occasionnel peut se transformer par un engagement plus durable.

Q7 : Dans quelles circonstances avez-vous pris un engagement associatif ? (plusieurs réponses possibles)
Une personne de l’association vous a sollicité Par tradition familiale Autre (précisez) Sur les conseils d’un ami ou d’un proche
49,8 % 30,3 % 24,9 % 19,9 %

Au final, s’associer et s’engager, c’est avoir des intérêts et des préoccupations en commun et former un groupe à partir de ces intérêts. On constate que dans les ressorts de l’engagement, le rôle de la famille, les relations au travail s’estompent au profit des réseaux d’amitié, et de partage de valeurs communes autour de moments conviviaux. C’est une représentation de l’engagement qui navigue entre un idéal de réalisation de soi et d’acquisition de compétences, plus forte chez les jeunes et les étudiants, et une inscription dans une identité collective au nom d’un idéal de solidarité et d’intégration au niveau du local, plus affirmée chez les seniors.

Une analyse croisée portants sur le secteur d’activité, l’âge, le profil du bénévole, sera le 2ème volet de cette enquête, consultable fin avril sur Associathèque.fr.

Résistances et freins à l’engagement bénévole

Résistances et freins à l’engagement bénévole

Un besoin de formation

Paradoxalement la notion de compétences peut apparaître comme un frein notable à la prise de responsabilités pour nombre de bénévoles qui craignent de n’être pas au niveau, y compris dans une moindre mesure chez les plus diplômés. D’où la demande formelle de « stages de formation » (28,3 %) pour accepter de nouvelles responsabilités, ou « tout autre moyen d’acquérir des compétences ». D’une manière unanime, se dégage une plus grande attention aux demandes de formation, d’autant que les com-pétences demandés aujourd’hui sont perçues comme de plus en plus fortes au niveau de la prise de responsabilités au sein des associations.

Q18 : Pour prendre des responsabilités associatives, qu’attendez-vous des dirigeants ? (plusieurs réponses possibles)
Des stages de formation Vous aider à acquérir des compétences
28,3 % 27,7 %

La prise en compte des contraintes individuelles

S’exprime également une crainte pour un certain nombre de bénévoles, surtout chez les plus âgés, de se laisser submerger par des pesanteurs et une organisation trop lourdes qui brideraient leur marge d’initiative et de liberté. D’où le souci récurrent qui émerge de « préciser le rôle et les limites de chacun sans les rejeter » et « la question du temps et du partage des tâches à effectuer ». Emerge à travers les réponses, une véritable demande auprès des dirigeants associatifs « d’accepter de s’adapter en fonction des contraintes et du désir d’investissement de chacun » et « d’expliquer clairement aux gens ce qu’ils peuvent apporter et ce qui leur ait demandé comme contraintes ». L’engagement traditionnel, enraciné dans des appartenances « communautaires », fondé sur une intégration verticale au sein de structures souvent fédérales, s’inscrivant dans la durée, privilégiant le nous, est un modèle moins dominant. Ce modèle laisse progressivement place à un « engagement distancié », voire « critique » et du pouvoir de dire non au nom du Je.

Un besoin de reconnaissance

Enfin la dernière question proposée dans l’enquête confirme le souhait de reconnaissance symbolique de l’engagement bénévole de la part des pouvoirs publics et des structures associatives : « Il faut une vraie reconnaissance du statut de bénévole ». Concrètement cette reconnaissance peut être la reconnaissance d’une compensation à l’activité bénévole, comme des mois comptant dans le calcul de la retraite. Mais cette reconnaissance symbolique n’est pas seulement fondée sur des aspects financiers ou sta-tutaires, mais plutôt sur le respect de la personne (faire confiance, laisser des initiatives et des responsabilités...) : « Ce n’est pas de l’assistanat dont ont besoin les associations mais de liberté d’action et d’encou-ragement ». D’autre part, un des moyens de satisfaire cette demande est de mieux prendre en compte les besoins et aspirations personnels : donner du sens à sa vie, se faire plaisir, rechercher du bien-être, sens de l’autonomie tout au service de l’intérêt local ou de la société, etc. Le bénévole ne veut plus être considéré comme une variable d’ajustement corvéable à merci au service d’une institution aussi philanthropique soit-elle, au détriment de ses choix et satisfactions personnels. On est passé de « l’individu anonyme » à « l’individu relationnel » pour qui les notions de plaisir, de développement personnel, et de connaissances des autres, sont déterminantes pour motiver l’engagement.

Conclusion

Avec cette étude, nous pointons des changements dans les formes d’engagements que nous avions déjà envisagés lors de notre précédente enquête. Au cœur de la notion d’engagement bénévole, existe un sentiment de libre choix en interaction avec une recherche de bien-être et de sociabilité, que permet le développement du temps libre.

Les résultats de cette enquête situent l’apparent paradoxe identitaire actuellement en question dans l’engagement bénévole, entre recherche identitaire et liens sociaux. Son développement repose en dernière instance sur l’insertion de l’individu au sein d’un collectif dont il partage des normes et des valeurs communes. Dans cette perspective, l’identité comme les collectifs sont issus d’une coproduction au sein de laquelle l’individu occupe une place centrale et dont l’engagement associatif constitue une voie possible d’une richesse indéniable, notamment comme forme de résistance au délitement social.

Cependant la prudence s’impose s’il s’agit de faire du milieu associatif l’ultime recours face à un repli sur soi que la vitalité bénévole viendrait démentir.

Bon à savoir

Etude sur le bénévolat des actifs

Concernant plus d’une personne active sur 2, la question du bénévolat des actifs est importante.

Une récente étude IFOP sur l’engagement associatif des actifs réalisée pour le ministère chargé de la vie associative présente un panorama inédit des pratiques de bénévolat des actifs, de l’utilisation des dispositifs d’aménagement du temps de travail pour concilier bénévolat et activité professionnelle, ainsi que les freins à l’engagement.

Etude complète à retrouver sur le site Associathèque, rubrique « parutions », « étude sur le bénévolat ».

Délégué Interministériel à la Jeunesse

Le Conseil des ministres a créé le poste de délégué interministériel à la jeunesse (DIJ) et nommé par décret Mickael Garnier-Lavalley. Sa mission sera de veiller à la cohérence des actions des différents ministères dans la prise en compte concrète de la priorité jeunesse.

Contact : presse-cabinet@jeunesse-sports.gouv.fr

Auteur

Roger Sue et Jean-Michel Peter, Cerlis-CNRS Paris Descartes Cité Sorbonne