Charles-Benoit Heidsieck, Président Fondateur, Le RAMEAU - Partenaire Associathèque

Alors qu’ils sont plus que jamais reconnus, les modèles d’intérêt général sont souvent mal connus. Il est plus que jamais nécessaire d’en qualifier les spécificités et d’en (ré)affirmer la complémentarité avec les modèles socio-économiques d’utilité sociale.

Pour bien comprendre la distinction des modèles entre une structure d’intérêt général et un opérateur économique d’utilité sociale, il n’est pas inutile de retracer les périodes de l’histoire associative. Trois grandes ères la caractérisent, et chacune d’elle met en lumière l’une des missions d’intérêt général que porte le secteur.

Tout d’abord, rappelons que la Loi Le Chapelier de 1791 avait supprimé tout droit d’association puisqu’il ne devait « rien y avoir entre le citoyen et l’État ». Il faudra attendre 1884 pour la création des syndicats, et 1901 pour celle du droit associatif.

De cette fondation au début des années 1980, le monde associatif repose sur sa capacité d’engagement bénévole. Ce qui caractérise alors le modèle socio-économique, c’est cette énergie de mobilisation dont les coûts induits sont pris en charge à la fois par la subvention et la générosité du public. L’action associative est alors une force de contribution volontaire venant renforcer et compléter les actions d’intérêt général portées par l’État. Historiquement, les secteurs de l’éducation populaire, du sanitaire & social et de la famille ont ainsi été des initiatives de la société civile souvent reprises dans le cadre de politiques publiques élargies.

À la faveur de la décentralisation, une seconde période s’ouvre au début des années 80 et qui se structurera réellement à partir des années 90, notamment autour de dynamiques comme l’insertion ou la politique de la ville. L’association n’est plus une simple source d’inspiration, mais devient un « auxiliaire des pouvoirs publics ». Les Collectivités territoriales s’appuient alors sur la force d’action des associations pour les aider à mettre en œuvre des politiques publiques locales au plus près des besoins. La proximité des associations devient un levier d’action qui sera largement utilisé pour mettre en œuvre concrètement des actions de proximité parfaitement adaptées aux spécificités des territoires et des publics concernés. Le modèle d’engagement volontaire se complète progressivement par celui d’opérateur de proximité. Le modèle socio-économique se transforme alors, tant par la richesse humaine mobilisée qui devient de plus en plus salariée, que par le financement qui évolue vers le revenu d’activités « commanditées ». S’il reste dans un premier temps majoritairement sous forme de subventionnement, il évolue à partir du milieu des années 2000 avec un mode de contractualisation qui passe progressivement par la commande publique. Le rapport subvention/commande publique passera ainsi de ⅔ – ⅓ en 2006 à moins de 50 % en 2018.

Avec la crise de 2008, une 3ème ère s’ouvre. Les structures d’intérêt général sont alors reconnues pour leur capacité d’innovation, en portant une forme de « Recherche & Développement » empirique originale. Au plus près du terrain, la capacité d’expérimentation prend soudain une nouvelle valeur face à l’augmentation des besoins sociétaux... et à la raréfaction des ressources.

Ces trois positions de lieu de l’engagement collectif, d’opérateur de proximité et de « laboratoire expérimental » se cumulent, rendant parfois floue les frontières entre les missions d’intérêt général et celles relevant d’un opérateur d’utilité sociale. Pourtant, il est stratégique de distinguer les périmètres car ces missions ne relèvent ni des mêmes objectifs, ni des mêmes modalités, ni des mêmes temporalités. De plus, les droits associés à chacun sont nécessairement différents, notamment pour le recours au bénévolat et l’usage du mécénat et de la générosité publique. Il revient donc à chaque structure de bien clarifier son positionnement pour choisir le modèle qui lui correspond.

Le référentiel « modèles socio-économiques d’intérêt général1 » revient très largement sur ce point pour en éclairer les contours. À un moment d’hybridation des modèles, il est plus que jamais indispensable que chacun connaisse les spécificités de son propre positionnement.

1 : Référentiel « modèles socio-économiques d’intérêt général » (Edition JURIS Association, septembre 2019)