Delphine Castel – rédactrice juridique, Juris associations - Partenaire Associathèque

Si on ne devait retenir qu’une nouveauté pour 2023, ce serait sûrement la « démission d’office », dernière-née de l’œuvre du législateur qualifiée par la doctrine d’« objet juridique non identifié »1.

Auparavant, l’employeur souhaitant se séparer d’un salarié ayant abandonné son poste devait initier une procédure de licenciement : la démission ne se présumant pas et étant un mode de rupture réservé au salarié, l’employeur ne pouvait considérer ce dernier comme démissionnaire.
Soc. 21 mars 1996, n° 93-41.402

Cette règle, que l’on pensait fermement établie, a été balayée par une loi publiée en fin d’année 2022.
L. du 21 déc. 2022, JO du 22, art. 4 ; C. trav., art. L. 1237-1-1 nouv.

Adoptée en urgence voire « à l’aveuglette » pour faire face à une situation matérielle, cette loi n’a pas vocation à combler un vide juridique : dans un souci d’équilibre du budget de l’assurance chômage, il s’agit, en réalité, d’éviter de verser des allocations à des personnes n’y ayant en principe pas droit. À l’ex-salarié, ensuite, d’apporter au juge la preuve qu’il n’est pas démissionnaire, le législateur n’ayant instauré qu’une présomption simple de démission.

À supposer qu’un grand nombre de salariés, qui seraient à l’origine d’une pratique répandue, se contenteraient d’abandonner leur poste pour ensuite se faire licencier uniquement pour percevoir les allocations de Pôle emploi et creuseraient ainsi le budget du chômage - ce qui n’est aucunement étayé par des statistiques ou des études, ce texte soulève un certain nombre de questions. En premier lieu, lorsque c’est l’employeur qui prend l’initiative de la rupture, la seule voie qui lui est ouverte est le licenciement, la démission étant la prérogative du salarié. La démission, de son côté, doit être de la part du salarié un acte clair et non équivoque. La nouvelle démission d’office, qui résulte de l’absence d’action, aura du mal à ressembler à un acte clair et non équivoque... Et on peut également se demander comment le salarié absent pourra apporter la preuve, nécessairement négative, qu’il n’est pas démissionnaire.

Sur le plan du droit, une solution existait déjà : lorsqu’un salarié a abandonné son poste sans motif, l’employeur peut prononcer un licenciement pour faute grave ; il appartient ensuite au juge, s’il est saisi, de vérifier l’existence et la gravité de la faute reprochée, puis l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. Que risque l’employeur ? Dans le pire des cas, la requalification de la faute grave en cause réelle et sérieuse, par conséquent le règlement des indemnités de rupture à savoir l’indemnité de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis.

Il est vrai que cette solution ne protège pas Pôle emploi de son obligation de régler des allocations chômage au salarié faussement démissionnaire. Cependant, elle est juridiquement correcte : l’employeur, qui a pris l’initiative de la rupture, a prononcé un licenciement. Dans ce cas, pourquoi ne pas tout simplement modifier les règles d’octroi des allocations chômage ? Ce n’est pas compliqué : « tout salarié licencié au motif d’un abandon de poste ne pourra percevoir aucune allocation au titre de la perte de son emploi ». Cela aurait-il bafoué la règle selon laquelle tous les salariés licenciés, même pour des fautes graves ou lourdes (violence ou vol dans le cadre du contrat de travail, par exemple) ont le droit de percevoir l’assurance chômage ? Certainement. Une telle règle aurait-elle été déclarée contraire à la constitution, à l’image de la privation du droit aux congés payés d’un salarié licencié pour faute lourde, avant la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2016 (n° 2015-523 QPC) ? Probablement pas. Il ne s’agit pas, comme pour la conformité à la constitution de l’ancien alinéa 2 de l’article L. 3141-26 du code du travail, d’une question de rupture d’égalité et de la différence de traitement qui en a résulté entre d’une part les salariés tenus d'adhérer à une caisse de congés et les autres. Et pourtant... estimant que le texte ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle et n’institue aucune différence de traitement, le Conseil constitutionnel l’a validé (décision n° 2022-844 DC du 15 déc. 2022) : « en premier lieu, d’une part, les dispositions contestées ne s'appliquent que dans le cas où le salarié a volontairement abandonné son poste. Il ressort des travaux préparatoires que l'abandon de poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire si, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est justifié par un motif légitime, tel que des raisons médicales, l'exercice du droit de grève, l'exercice du droit de retrait, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d'une modification unilatérale d'un élément essentiel du contrat de travail ». D’autre part, « le salarié ne peut être réputé démissionnaire qu'après avoir été mis en demeure, par son employeur, de justifier d'un tel motif et de reprendre son poste dans un délai déterminé, qui ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d'État ».

Et de tenter de rassurer : « En second lieu, la présomption de démission instituée par les dispositions contestées est une présomption simple, qui peut donc être renversée par le salarié qui entend contester la rupture de son contrat de travail. Le conseil de prud'hommes saisi d'une telle contestation statue alors au fond, sans conciliation préalable, dans un délai d'un mois à compter de sa saisine ».

Tout ceci est en effet bien rassurant ! On sait à quel point de telles règles sont gorgées d’efficacité : la preuve négative pour renverser une présomption simple et la décision du CPH dans le mois de la saisine...

1 : G. Duchange, I. Méftah, « La démission sans volonté de démissionner : quels effets aura cet objet juridique non identifié ? », RDT 2022. 685