Xavier Delpech – Docteur en droit - Juris associations - Partenaire Associathèque

Notion d’entente

Les associations, lorsqu’elles exercent une activité économique, sont susceptibles d’être sanctionnées sur le fondement du droit de la concurrence, qu’il s’agisse de la concurrence déloyale (Com. 26 févr. 2020, n° 18-19.153), des pratiques restrictives de concurrence (Civ. 1re, 5 févr. 2020, n° 18-18.854) ou encore des pratiques anticoncurrentielles, lesquelles englobent abus de position dominante (Com. 8 févr. 2017, n° 15-15.005) et entente (Com. 12 sept. 2018, n° 14-19.589). C’est à nouveau d’entente dont il est question dans cette décision de l’Autorité de la concurrence du 16 novembre 2022. Rappelons au préalable, que, en application de l’article L. 420-1 du code de commerce, constitue une entente une pratique anticoncurrentielle ayant pour objet ou pour effet de fausser ou d'entraver le jeu de la concurrence, qui est formalisée dans un accord ou résulte seulement d'une pratique concertée. Elle est en principe interdite, aussi bien par le droit français que par le droit de l'Union européenne. Toutefois, certaines ententes peuvent être justifiées notamment parce qu'elles ont pour effet de contribuer au progrès économique. Elle est, au surplus assortie d’une sanction pécuniaire dont le montant, lorsqu’il s'agit d'une entreprise – une association exerçant une activité économique est considérée comme telle –, le montant de la sanction est plafonné à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre (C. com., art. L. 464-2).

Une entente dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture sur l’île de La Réunion

Dans l’affaire jugée, le « gendarme de la concurrence » a prononcé une sanction pécuniaire d’un montant de 60 000 euros à l'encontre d’une association interprofessionnelle de pêche et d’aquaculture pour avoir organisé, sur l’île de La Réunion, une entente entre ses membres portant sur la fixation des prix de vente du poisson et le contrôle de la production et des débouchés.

L’association condamnée se compose de dix organisations d’entreprises, associations ou syndicats patronaux, représentant l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière du poisson à la Réunion (production, transformation et commercialisation). En 2020, elle représentait pas moins de 90 % de la débarque locale de poisson frais à la Réunion. Elle est organisée en trois comités de gestion, instances décisionnelles spécifiques à chaque filière de production. Les organisations membres de l’association y jouent un rôle majeur puisqu’elles sont membres des comités de gestion, en tant que « familles professionnelles », et participent ainsi aux décisions prises par l’association.

L’association condamnée a été constituée en 2010 pour répondre aux difficultés économiques rencontrées par les acteurs locaux de la pêche et de l’aquaculture. Elle a notamment pour mission d’améliorer la connaissance et la transparence du marché, d’assurer une meilleure coordination de la mise sur le marché des produits de la pêche et de valoriser la production locale. Elle est également chargée de la gestion du programme de subventions européennes dédié au secteur. Bénéficiaire intermédiaire de ces aides, l’association redistribue ensuite les fonds à ses membres.

Pour assurer une stabilité des prix, l’association a adopté, dès 2011, des grilles d’orientation de prix. Approuvées par les comités de gestion de l’association, ces grilles indiquent, pour la vente entre entreprises membres de l’association, les prix minimums devant être appliqués par espèce et par présentation (entier, longe, steak, etc.) entre les familles professionnelles de l’association. Définies par les règlements intérieurs des comités de gestion de l’association, ces grilles étaient connues de tous les membres et pouvaient faire l’objet, en cas de non-respect, de sanctions pouvant aller jusqu’à une exclusion totale ou partielle du bénéfice des aides publiques gérées par l’association.

En outre, dès sa création, l’association a entrepris de réguler le marché réunionnais du poisson, en imposant aux opérateurs une série de contraintes. Ces mesures ont consisté en particulier en une définition stricte des transactions autorisées par famille d’opérateurs, en une concertation préalable et une mise en œuvre collective des opérations promotionnelles, et en des actions destinées à restreindre ou à promouvoir l’écoulement du poisson débarqué sur le marché local selon les conditions économiques.

Une infraction particulièrement grave

Selon l’Autorité de la concurrence, en s’entendant sur le principe de grilles tarifaires et sur la détermination d’opérations promotionnelles de manière concertée, les membres de l’association ont entravé le libre jeu de la concurrence, ce qui constitue l’une des infractions les plus graves aux règles de la concurrence. Ces pratiques sont d’autant plus graves qu’elles s’allient de concert avec d’autres pratiques anticoncurrentielles visant à limiter la liberté de vendre ou d’acheter des membres de l’association. Par ces mesures combinées, l’association a supprimé l’incertitude devant normalement peser sur chaque opérateur, ce qui a pu concourir soit directement soit indirectement à la fixation de prix supérieurs à ceux qui auraient résulté d’une situation normale de concurrence.

L’Autorité a, par ailleurs, rappelé que de telles pratiques présentent un caractère particulièrement grave lorsqu’elles sont mises en œuvre par une organisation professionnelle qui, du fait de sa mission, est tenue de veiller au respect de la légalité et à la diffusion du droit applicable. Enfin, l’Autorité constate que ces pratiques se sont déroulées sur une période de onze ans et un mois.

L’association a sollicité le bénéfice de la procédure de transaction (C. com., art. L. 464-2, II). Celle-ci permet à une entreprise qui ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l'intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général, fixant un montant maximal et minimal, et ayant donné lieu à un accord des parties. Dans le cadre de cette procédure négociée, l’Autorité a prononcé une sanction pécuniaire de 60 000 euros seulement, alors que la sanction aurait pu être beaucoup plus élevée en l’absence de transaction. Elle a enfin précisé que l’amende peut être réglée par l’association, mais, qu’à défaut, son recouvrement pourra s’effectuer auprès des membres de cette association.