Xavier Delpech – Docteur en droit, Juris associations - Partenaire Associathèque

La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 a introduit dans notre droit des sociétés le statut de société à mission. Pour prétendre à ce statut d'inspiration américaine – il est connu aux États-Unis sous la dénomination de Flexure Purpose Corporation, une société doit obéir à plusieurs conditions ; en particulier, ses statuts doivent « [préciser] un ou plusieurs objectifs, sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ».
C. com., art. L. 210-10, 2° nouv.

C’est dire que, s’inscrivant dans une optique qui se rattache à la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE), la société entend ainsi poursuivre un objet qui n’est pas purement spéculatif, mais qui se rattache potentiellement à l’intérêt général. Toutefois, l’inscription dans les statuts de la mission que la société entend poursuivre et les objectifs correspondants à celle-ci, fait que la société est tenue juridiquement de les remplir, mais si elle ne les remplit pas la sanction en termes de réputation risque d’être plus grave encore pour elle. Le caractère statutaire de la mission lui confère donc une opposabilité qui est à la fois juridique, mais également « médiatique ».

Pourtant, à ce jour, et assez paradoxalement, seuls certains types de groupements sont aptes à adopter ce statut, les sociétés commerciales, les mutuelles et les unions à mission, à l'exclusion des sociétés civiles et des groupements d'intérêt économique. Or, un récent rapport issu d’une mission dirigée par Bris Rocher, président-directeur général du Groupe Rocher et intitulé « Repenser la place des entreprises dans la société : bilan et perspectives deux ans après la loi Pacte » a proposé d’élargir la qualité de sociétés à mission aux sociétés civiles et aux groupements d’intérêt économique. Certains de ces groupements ont, en effet, manifesté de l’intérêt pour cette qualité.

Mais le rapport va plus loin : certaines associations pourraient également mettre en œuvre une gouvernance de type société à mission (avec notamment l’instauration d’un comité de mission chargé de s’assurer que la mission sociale a été bien remplie) et devenir ainsi « association à mission ». A ce stade, le rapport se contente, fort prudemment, d’« étudier un statut d’associations à mission ». De fait, ce nouveau statut pourrait intéresser nombre d’associations de grande taille ou non. On peut ainsi concevoir qu’une association regroupant les commerçants d’un centre commercial se propose, à titre d’objectif environnemental, de réduire le bilan carbone de l’activité de ses membres. Cette mission se distingue nettement de l’objet associatif, qui est de défendre les intérêts de ses membres (notamment vis-à-vis de leur bailleur), ou encore de mener des opérations d’animation du centre commercial. On est tenté d’aller plus loin que le Rapport Rocher et de proposer d’étendre le statut de « groupement à mission » à d’autres organismes sans but lucratif, tels que les fondations, voire encore les fonds de pérennité.

Le rapport Rocher évoque, par ailleurs, les associations à un autre titre. La loi Pacte a également introduit dans notre droit des sociétés la notion de « raison d’être », laquelle est « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».
C. civ., art. 1835 compl.
Cette raison d’être, tout comme le statut de société à mission, revêt un caractère facultatif et doit être inscrite dans les statuts de la société qui l’adopte. Mais elle s’applique ici à tous les types de sociétés, civiles comme commerciales. Un manquement d’une société à sa raison d’être pourrait être une source de responsabilité pour celle-ci. Or, comme l’a affirmé à juste titre le rapport Rocher, un tiers pourrait valablement agir contre la société « en cas de manquement à la raison d’être dès lors que l’engagement de la société est suffisamment précis » en application du droit commun de la responsabilité civile.
C. civ., art. 1240

Pour le rapport, le risque de contentieux, en ce domaine, viendra sans doute essentiellement de l’action d’associations. Citons, en guise de conclusion, un extrait de celui-ci (p. 37) : « Il faut rappeler, d’une part, qu’il existe en France environ quatre cent cinquante organisations non gouvernementales auxquelles s’ajoutent les associations de défense des consommateurs et, d’autre part, que la Cour de cassation admet la recevabilité de l’action civile d’une association ne bénéficiant d’aucune habilitation légale lorsque cette action entre dans son objet social. Le risque est donc large ».