Delphine Castel – Rédactrice juridique, Juris associations - Partenaire Associathèque

On se rappelle la « tempête » qui avait suivi la publication de l’ordonnance du 22 septembre 2017 (JO du 23) prévoyant le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse accordées par le juge en fonction de l’ancienneté du salarié. La chambre sociale de la Cour de cassation a récemment rendu deux décisions mettant un terme aux débats.

Elle estime en effet que le barème est bien conforme à la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui énonce, en matière civile, le principe de réparation intégrale du préjudice. Elle tire argument de ce que l’une des caractéristiques d’une indemnité adéquate est que la perspective de son versement dissuade suffisamment l’employeur de licencier à la légère. Or, lorsqu’un licenciement est sans cause réelle et sérieuse, le juge peut ordonner d’office à l’employeur de rembourser à Pôle emploi jusqu’à 6 mois d’indemnités. Ainsi, pour la Cour de cassation, ce mécanisme tendrait à dissuader l’employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse. Cette position est discutable car, s’il est légitime que Pôle emploi prétende à répétition de l’indu, la réparation du préjudice devrait en premier lieu servir la victime, en l’occurrence le salarié licencié – et ce n’est pas le cas. Mais était-ce l’esprit du texte ? Rien n’est moins sûr. Déjà, en 2013, il était question de « rationaliser les procédures de contentieux judiciaire » en raffermissant la « sécurité juridique des relations de travail ». Il s’agissait, pour les employeurs, de maîtriser le coût du licenciement, mais surtout de le diminuer de manière conséquente. Les partenaires sociaux, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, avaient trouvé un consensus portant sur la fixation officielle d’un barème d’indemnité forfaitaire applicable lors de l’audience de conciliation devant le bureau éponyme du conseil de prud’hommes. En cause, le coût non maîtrisé et prétendument incontrôlable d’une procédure prud’homale, les organisations patronales estimant qu’il était impossible de savoir à quelle somme l’employeur serait condamné en raison d’une part de l’absence de plafond et d’autre part du « facteur humain » variable d’une juridiction à une autre – et ce d’autant que les juges prud’homaux, en première instance, ne sont pas des magistrats professionnels. Nombreux pensaient que de tels arguments ne pourraient prospérer... mais ils avaient tort.

Face au lobbying des organisations patronales, les derniers remparts ont cédé. Le barème comprend un minimum de 3 mois de salaire et un maximum selon l’ancienneté du salarié, allant jusqu’à 20 mois (pour 29 ans et plus d’ancienneté). Mais cette liberté de naviguer à l’intérieur du barème est une liberté conditionnée. Oublié, le principe fondamental du droit selon lequel la demande fixe les limites du litige et son corolaire tendant à rejeter, en matière prud’homale, les demandes d’indemnisation dont le montant n’est pas déterminé. Enterrée, l’interdiction faite au juge de statuer ultra petita. Balayée, l’obligation comptable de provisionner la charge d’une condamnation future correspondant au total des demandes et de la reporter d’un exercice sur l’autre en attendant la décision. Perdue de vue, la possibilité que le salarié n’obtienne que le minimum – qui était de 6 mois de salaire passé 2 ans d’ancienneté. Soigneusement rangée, la possibilité d’interjeter appel ou, s’il est question de l’application du droit, de se pourvoir en cassation. Finies, les plaidoiries vibrantes débattant du quantum laissé à l’appréciation souveraine des juges. Enfin et surtout, délaissée, la Justice des hommes, au profit d’un barème presque aussi mécanique que froid.

Pour couper court à toute discussion future, la Cour a même rejeté la possibilité d’une appréciation in concreto par les juges du fond, qui ne pourront donc écarter le barème au cas par cas. In fine, même l’article 24 de la charte sociale européenne a été écarté, faute d’effet direct. Pour la majeure partie du contentieux prud’homal, c’est tout un pan de l’appréciation souveraine du juge qui disparaît. Il y a fort à parier que le contentieux glissera autant que possible sur le terrain de la nullité du licenciement, là où le barème n’est pas applicable...