La Cour de cassation a récemment procédé à un revirement de sa jurisprudence établie depuis 2017 en matière de harcèlement moral.

Les faits

Dans cette affaire, une association gérant un foyer accueillant des adolescents en difficulté embauche en novembre 2002 une salariée en qualité de psychologue. En avril 2018, cette salariée est licenciée pour faute grave. Soutenant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, la salariée a saisi en octobre 2018, la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l’obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail. La Cour de cassation ne se prononce que sur le moyen tiré de la nullité du licenciement, les autres n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Le revirement

Il est établi qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé des faits de harcèlement moral, tout licenciement ou tout acte disciplinaire intervenu en méconnaissance de ce principe étant nul. Cette règle, d’ordre public, résulte de la combinaison des articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. À cette règle, la jurisprudence a apporté deux nuances : une exception, en cas de mauvaise foi du salarié (Soc. 10 mars 2009, n° 07-44.092), et une condition, le salarié dénonçant des faits de harcèlement moral devant les qualifier comme tels pour pouvoir bénéficier de la protection contre le licenciement (Soc. 13 sept. 2017, n° 15-23.045).

Dans l’affaire qui nous intéresse, la salariée est licenciée pour avoir adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre dénonçant le comportement de son supérieur hiérarchique. Cette lettre était illustrée de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, mais ne faisait pas ressortir l’expression « harcèlement moral ». En conséquence, en application de la jurisprudence établie depuis 2017, la salariée ne pouvait espérer se prévaloir des dispositions protectrices des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail.

Cependant, une telle solution aboutit à des ruptures d’égalité. En premier lieu, les juges ont octroyé à l’employeur la possibilité d’invoquer au cours du procès la mauvaise foi du salarié licencié qui a dénoncé des faits de harcèlement moral sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention dans la lettre de licenciement (Soc. 16 sept. 2020, n° 18-26.696), alors qu’en application de la jurisprudence de 2017, le salarié est privé de la possibilité d’améliorer sa défense devant le juge. Ensuite, lorsque le salarié ne fait pas un usage abusif de sa liberté d’expression et n’est pas de mauvaise foi, comment justifier une rupture d’égalité entre un salarié qui inscrit « harcèlement moral » dans sa dénonciation et celui qui ne l’inscrit pas, le premier étant protégé du licenciement et pas le second, alors que la protection contre le harcèlement est d’ordre public ?

Dans cette affaire, l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral. La Cour estime que les juges du fond ont à juste titre retenu que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral. Dès lors, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le grief d’agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement.

Auteur

Juris associations pour le Crédit Mutuel